
La baronne Elsa von Freytag-Loringhoven est une artiste dadaïste d’origine allemande. Surnommée Dada Baroness, on a dit d’elle qu’elle était la seule qui « s’habille Dada, aime Dada et vit Dada » (Jane Heap).
Elle s’émancipe à 18 ans quittant un père abusif, syphillitique de surcroît, après la mort de sa mère. Elle rejoint Berlin, hébergée par une tante et étudie l’art et le théâtre. Elle chante en tant que choriste, fréquente l’artiste transgenre Melchior Lechter. Elle fait preuve d’une indépendance d’esprit et de corps hors du commun en ayant diverses aventures et voyage durant deux ans en Italie avec un compagnon. En 1896, elle suit un traitement contre la syphillis. Un premier mariage en 1901 (un architecte), un second en 1907 (le traducteur d’Oscar Wilde), une vie nomade en Europe, puis arrivée aux Etats-Unis où elle est abandonnée par son mari, Mr Greve.

Elle se retrouve à New York et épouse le Baron Leopold von Freytag- Loringhoven en 1913, un noble désargenté de dix ans son cadet qui se suicide en 1919. A-t-elle seulement pensé à divorcer du précédent?


A Greenwich Village, nombre d’artistes européens ayant fui la guerre se rassemblent. Dès 1918, Elsa rencontre Man Ray et Marcel Duchamp. Celui-ci écrira à sa soeur Suzanne (lettre retrouvée en 1982) que l’idée de la « Fontaine » vient d’une amie : la Baronne? Voir ICI le décryptage de ce que l’on sait à ce sujet.
Dans son livre « Souvenirs de l’avenir« , l’écrivaine Siri Hustvedt s’attache au personnage de la baronne et revient sur ce doute : l’urinoir serait l’idée d’Elsa. Pour l’écrivaine, c’est elle qui aurait envoyé cet urinoir renversé aux Indépendants suite à l’entrée en guerre des États-Unis contre l’Allemagne, en 1917. Avec la signature, « R. Mutt », homophone de Armut, qui renvoie à la pauvreté matérielle et surtout intellectuelle, ou Mutt (chien bâtard) encore Mutter.
Elsa publie un poème dédié à Marcel Duchamp, pour lequel elle développe une obsession, intitulé « Love-Chemical Relationship » (1918), ainsi que les portraits suivants:



Elle acquiert une certaine « Dada crédibilité » en créant des sculptures d’objets trouvés ou volés et en publiant des poèmes dans des magazines d’avant-garde, tel The little Review. Lire quelques-uns de ses poèmes en anglais.

Elsa von Freytag-Loringhoven fait de son style de vie une performance en elle-même, se rasant la tête, usant de rouge à lèvres noir, se baladant dans des tenues extravagantes avec cinq chiens en laisse ou se coiffant de couvre-chefs improbables tout en déclamant ses poèmes dans la rue. La nudité est comme un costume pour elle et elle n’en conçoit aucune gêne. Ezra Pound écrit un poème Dada à son sujet. William Carlos William l’admire, puis la craint suite à une tentative de séduction excessive de sa part. En 1921, Man Ray et Duchamp tournent un film intitulé « La Baronne se rase le pubis », film détruit au moment de son développement.
Elle devient une personnalité marquante de l’excentrique Greenwich Village, mais vit dans le dénuement.
Elsa finit par s’en retourner à Berlin en 1923. Elle passera trois ans dans la misère et les asiles psychiatriques de l’après-guerre. Elle réussit à réunir une somme pour retourner à Paris. Malheureusement, elle a vieilli, perdu de sa flamboyance. Les amis s’éloignent d’elle et elle meurt d’asphyxie au gaz dans sa chambre à l’âge de 53 ans.
“ My mind is on rebellion. Permit me, oh permit me to rebel ! ”, Elsa von Freytag-Loringhoven, 1925.

Pour l’époque, la Baroness est la version extrême d’une femme marginale et avant-gardiste. Elle ose plus que les hommes modernistes de son temps et son attitude préfigure des performances et du Body Art féministe. Elle affiche ses amitiés intenses et parfois orageuses avec des écrivains et des artistes lesbiennes comme Margaret Anderson, Jean Heap, Berenice Abbott et surtout Djuna Barnes.


Citation de George Biddle, peintre pour lequel elle pose en 1917 :
« D’un geste royal, elle fit glisser les pans d’un imperméable écarlate. Elle se tenait devant moi toute nue — ou presque. Sur les tétons, il y avait deux boîtes de conserve de tomates retenues par une ficelle verte autour de son cou. Entre les deux boîtes pendait une très petite cage à oiseau avec à l’intérieur un canari déconfit. Un de ses bras était couvert du poignet à l’épaule d’anneaux de rideaux en celluloïd, qu’elle admit plus tard avoir chapardé dans un magasin de meubles Wanamaker. Elle enleva son chapeau qui avait été orné avec goût mais discrétion de carottes dorées, betteraves et autres légumes. Ses cheveux étaient coupés ras et teints en vermillon. »
Fragments des poèmes d’Elsa:“ Je fouille la poubelle dans le square, les pigeons se posent sur mes miettes de pain — résolue à retourner dans ce bouge puant et clandestin pour prier Marcel (Marcel Duchamp) de m’aimer avec de l’argent pour de la soupe juste un bol — le cœur plein d’espoir, je rentre, par les rues marquées de merde de cheval — on est en 1919 quand même, la guerre est passée et la locomotion animale aussi — à travers les cris de rut des pneus d’automobile, mon boa emprunté traîne, cage à oiseau attachée, dans les effluves — je puerai autant qu’elles des odeurs de graisse des rues de la ville. New York. Un exil en marchant ici je serais toujours — seule ”

Fruit Don’t Fall Far
Translated from the German by Jill Alexander EssbaumFrom Daddy sprung my inborn ribaldry.His crudeness destined me to be the same.A seedlet, flowered from a shitty heap,I came, the crowning glory of his aim.From Mother I inherited ennui,The leg irons of the queendom I once rattled.But I won’t let such chains imprison me.And there is just no telling what this brat’ll…!This marriage thing? We snub our nose at it.What’s pearl turns piss, what’s classy breeds what’s smutty.But like it? Lump it? Neither’s exigent.And I’m the end result of all that fucking.Do what you will! This world’s your oyster, Pet.But be forewarned. The sea might drown you yet.§
Les outrances vestimentaires de la Baronness ne font-elles pas penser à celles de Lady Gaga dont les extravagantes tenues font la Une des journaux?
Mais c’est quoi au juste une tenue correcte?
Les contraintes vestimentaires sont-elles toujours d’actualité? Le vêtement donne une image sociale de la personne, il a donc une signification importante. Les tribunaux ont eu à connaître à plusieurs reprises des litiges entre un salarié, qui invoquait le droit de s’habiller comme il l’entendait, et son employeur qui estimait que l’allure vestimentaire de son salarié portait atteinte à l’image de l’entreprise. Qu’en dit le code du travail français?
UBS, la banque suisse a été jusqu’à éditer un manuel de 44 pages pour apprendre à ses salariés suisses à afficher une « apparence impeccable » ! Ainsi, ce guide donne des conseils concernant la coiffure, le repassage, la maquillage, le choix des chemises et des chaussures, le moment idéal pour se parfumer et la couleur des sous-vêtements….Téléchargement Dresscode UBS (tiré de http://rhconseilpme.blogs.com)
Les tenues masculines du mouvement, elles, n’étaient pas DADA du tout!
Je suis étonné de la proximité entre cette baronne et Anaïs Nin – qui allait dans un bal costumé avec des collants couleurs chair et des bouts de fourrure attaché au bout des tétons. Provocatrice et constamment en recherche.
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