« Vallotton Forever » MCBA

Exposition du Musée Cantonal des Beaux Arts de Lausanne, du 24.10 au 4.02. 2025

Commissariat Catherine Lepdor et Katia Poletti

C’est une esquisse de cette rétrospective chronologique, un extrait des plus de 250 pièces de Félix Vallotton (1865-1925), peintre, graveur, illustrateur et dessinateur de presse, présentées à Lausanne.

Ce « Nu assis sur un tabouret » définitivement inachevé date de 1884. Arrivé à Paris à l’âge de 16 ans et Vallotton a fréquenté l’Académie Julian. Installé dans le quartier de Montmartre, il dit lui-même qu’îl a appris à voir avant d’apprendre à peindre.

Il expose son autoportrait au salon officiel des portraits peints à tout juste 20 ans.

« Il n’a pas été fait pour le public, mais pour moi, les artistes seuls peuvent y découvrir quelques qualités, mais les bourgeois ne le trouveront sans doute pas agréable, mais je m’en fous ! ».

Autoportrait, 1885

Plusieurs autoportraits de l’artiste au cours des années font partie de l’exposition. Il en existe huit, toujours peints sur un fond neutre, dans la même pose, le regard expressif.

En 1885, Vallotton reçoit une commande pour un ouvrage de luxe de 30 dessins pour « Badauderies parisiennes. Les rassemblements » (édités en 1896). Réalisés au crayon et à l’encre de chine noire, ils seront librement commentés par 15 écrivains. Ces dessins décrivent la foule parisienne à l’occasion d’attroupements défilés, accidents, vitrines, travaux, mariage, café, manifestation, etc.

Vallotton présente ses premières gravures sur bois en 1892. Celles-ci attirent l’attention des Nabis (prophètes en hébreu). il rejoint le groupe un an plus tard (Bonnard, Denis, Vuillard, etc).

Période marquant l’intervalle entre héritage classique et désir de renouveau, la fin du XIXe semble caractéristique d’un génération d’artiste d’un « monde flottant« . Pour le parcours de Vallotton, la découverte de l’art japonais, relaté par plusieurs expositions à cette époque, semble importante. C’est là qu’il y rencontre la technique de la gravure sur bois. Peut-être est-ce aussi une influence pour ses fonds et ses vides? Il n’en est pas fait mention dans l’exposition.

La célèbre série des Intimités, dix gravures sur bois représentant des scènes de vie amoureuse, est publiée dans la Revue blanche (revue littéraire et artistique de sensibilité anarchique) en 1898. Après en avoir tiré seulement trente exemplaires, l’artiste détruit les originaux et réalise un tirage avec dix fragments prélevés sur chacun des bois gravés. Le Mensonge, Le Triomphe, La Belle Épingle, La Raison probante, L’Argent, Le Grand Moyen, Cinq heures, Apprêts de visite, La Santé de l’autre et L’Irréparable. Les dix sont exposées.

Pour un numéro spécial de la revue « L’Assiette au Beurre« , Vallotton réalise 23 lithographies intitulées Crimes et Châtiments. Sympathisant du mouvement anarchiste, il y dénonce les abus de pouvoir de ceux qui font autorité: patrons, curés, propriétaires et agents de police. La simplicité de la technique renforce la puissance narrative de ces scènes de violence.

Il soutient et collabore au journal « Le cri de Paris« , qui réclame la révision du procès Dreyfuss…

…Pour un hebdomadaire, il crée un jeu de l’oie où les parlementaires sont des « masques » et les corps des animaux. Ses petits portraits (ses masques) de figures littéraires ou artistiques à l’encre de chine (plus de 300) sont réunis dans deux volumes (Le Livre des masques, Remy de Gourmont, 1895-98). Ce ne sont pas des caricatures, mais des copies épurées, stylisées d’après photos, modèles ou dessins de confrères.

Pour autant, il peint aussi! Dont, en période Nabie, la série de 6 Intérieurs avec figures, une suite qui désigne encore une fois l’autorité déplacée, celle du patriarcat sur les femmes. Ses mises en scènes sont à ausculter de près. On pourra y voir plusieurs indices de ce qui se joue sur le tableau. Enfilades de pièces, obscurité, tableau de Vuillard sur l’adultère, autant d’objets révélateurs: dans la Chambre rouge, un drame se noue sous le regard d’un buste de Vallotton lui-même. Tout l’art de la suggestion.

« Il ne suffit pas de reproduire ce que l’on voit ; il faut transmettre ce que l’on soupçonne. »

En 1899, il épouse Gabrielle qui a déjà trois enfants. Dès cette période, après avoir réalisé quelques statuettes en bronze, il retrouve de l’intérêt pour le volume et retourne au réalisme au travers de la peinture de nus (nuEs!).

Le repos des modèles, 1905

S’y reflètent deux tableaux de son passé, ses parents symbolisant sa jeunesse en suisse et un paysage Nabi de bord de Seine pour ses succès parisiens. L’oeuvre est considérée comme le manifeste de la nouvelle démarche de Vallotton, un bilan de son parcours artistique. Après les portraits et les paysages réalistes (ses parents, 1886) et nabis (1901), après les xylogravures, il centralise la place du nu. L’anémone symbolise rupture et renaissance.

Le positionnement des deux modèles peut rappeler l’Olympia de Manet (1863), mélancolie en plus. Il s’en inspire aussi pour « La Blanche et la Noire » qui évoque Ingres et ses Odalisques. Un tableau intrigant que l’on peut interpréter à sa guise. Passive-active, dominante-dominée, noire-blanche, éveillée-endormie, nue-vêtue…

La Blanche et la Noire, 1913

A voir aussi au MUDAC, Lausanne, les réinterprétations photographiques de Gloria Oyarzabal, tirées de sa série USUS FRUCTUS ABUSUS (2022), qui détourne les poses des modèles en les situant au même niveau, atténuant les aspects coloniaux et patriarcaux du sujet.

Femme nue lutinant un Silène, 1907

Un tableau osé pour l’époque… »La censure semble avoir été immédiate puisque la peinture disparaît de la liste des tableaux destinés par l’artiste à une exposition au Kaiser Wilhelm-Museum de Krefeld en 1907″.

Portrait d’une femme africaine, 1910
Nu à l’écharpe verte, 1914

Une pose ambigüe entre pudeur et exhibition. Le genre « Vénus endormie » a été peint et repeint depuis la Renaissance. Vallotton le réalise avec une superbe palette de verts. Un fantasme plutôt masculin où la femme est passive. Ci-dessous, il n’hésite pas à la rendre activement agressive!

Une variété de poses et de compositions faisant de ses études de nus un panorama de ses talents.

Pour en voir plus, beaucoup plus, rendez- vous au musée!!

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