Théâtre de Vidy du 26 au 28 septembre 2025
La fourmi alpine argentée fait son entrée au théâtre!
Le nom de Simon Senn évoquait pour moi la technologie numérique. Pour cette pièce, c’est avec une biologiste qu’il a travaillé ce spectacle seule-en-scène. Amaranta Fontcuberta, pour sa thèse de doctorat en écologie évolutive, a investigué sur la coexistence de deux formes sociales alternatives chez la fourmi alpine argentée et leurs colonies monogyne et polygyne. Le site de Derborence est célèbre grâce au roman (1934) de l’écrivain suisse Charles Ferdinand Ramuz , inspiré de l’éboulement survenu en 1714. C’est là que la scientifique a situé ses recherches.

Tout à coup, la ligne du pâturage, qui s’affaisse dans son milieu, se met à tracer dans rien du tout sa courbe creuse. Et on voit qu’on est arrivé parce qu’un immense trou s’ouvre brusquement devant vous, étant de forme ovale, étant comme une vaste corbeille aux parois verticales, sur laquelle il faut se pencher, parce qu’on est soi-même à près de deux mille mètres et c’est cinq ou six cents mètres plus bas qu’est son fond. (Derborence, C-F. Ramuz, texte)
La pièce retrace donc les expériences effectuées en milieu naturel et celles du laboratoire. Mais c’est surtout la passion de la biologiste qui traverse la représentation. Elle partage avec le public le temps passé sur le terrain, les expériences d’extraction de l’ADN, et surtout ses propres émotions. Sa présence est puissante et son éloquence teintée d’un petit accent savoureux nous entraîne avec plaisir et intérêt dans les méandres de la route qui mène aux colonies fourmilières de Derborence.

Ce spectacle porte sur le vivant, c’est une chronique sensible sur le travail méconnu des scientifiques. Il nous fait toucher du doigt le minutieux et long travail de recherche indispensable à la compréhension du fonctionnement de la vie. La rencontre avec une bergère de vaches en troupeau relie les minuscules fourmis avec ces mammifères si présents en Suisse. J’aurais bien aimé entendre un peu plus de Ramuz, mais la citation en fin de représentation a été fort bien choisie. Un dialogue entre deux femmes qui se termine par :
Tout à coup, elle demande — Qu’est-ce que c’est que ce bruit ? — C’est le monde.Elle a dit :
— Quel monde ?
Oui quel monde? Il y a bien d’innombrables mondes sur cette terre. Des mondes humains et non humains, n’oublions pas ces derniers! Celui des vaches et celui des fourmis, mais aussi celui des femmes, des biologistes, des géologues, des écologistes…etc, chacun.x.e le sien. Par bonheur, celui des artistes nous apprend à les re-connaître.
Il faisait très beau. Elle voyait entre ses pieds des petites
fourmis rouges qui portaient leurs œufs à la file au fond
d’une étroite rainure qu’elles avaient fini par se creuser dans
la poussière – une espèce de ruelle aussi, car les fourmis,
c’est comme nous, se disait-elle ; les fourmis avec leurs œufs
plus gros qu’elles, c’est comme nous avec nos filards de foin
qui sont aussi plus gros que nous…
Derborence, C.F. Ramuz

