Théâtre de Vidy, du 17 septembre au 8 octobre 2025

Avec Harrison Arévalo (Rodolphe Boulanger), Jean-Charles Clichet (Charles Bovary), Julien Honoré (Monsieur Homais), Davide Rao (Léon Dupuis), Stéphane Roger (Monsieur Lheureux), Ludivine Sagnier (Emma Bovary), Marlène Saldana (Madame Loyale)
Et (filmé.es):
Vincent Breton (L’aveugle), Nathan Prieur (Justin), Emilia Diacon (Emma Bovary enfant), Salomé Gaillard (Berthe Bovary).

Une sorte d’amphithéâtre à colonnades sur trois étages de couleur rouille. Au centre inférieur, un couloir terminé par un double rideau plastique et surmonté de néons multicolores. Au-dessus, un grand écran. Ce que l’on voit? un plateau en demi-cercle entouré de cette construction supportant une série de gradins.

De ce décor majestueux, je présumais une arène, l’endroit de la mise à mort. C’est pourtant sur la piste de sciure du cirque (où tout peut arriver) que nous emmène la nouvelle Emma Bovary de Christophe Honoré. En effet, la narration de Flaubert est bâtie d’épisodes successifs, lesquels ont inspirés des numéros de cirque au metteur en scène. Le réalisme et la précision poétique de l’un se prolongent dans l’humour et la sensibilité de l’autre.

C’est pourquoi Madame Bovary aura la possibilité de rejouer son histoire au coeur de cette piste de cirque pour devenir celle de Bovary Madame. Une sorte de transfiguration?

Madame Loyale, maîtresse de cérémonie, (Marlene Saldana encore et toujours géniale) questionne et guide, elle est le fil rouge du récit. Telle une journaliste, elle interroge les motivations et approfondit les propos des protagonistes, tout en introduisant les différents numéros/chapitres/actes.

Les hommes du roman sont ici clowns, illusionniste et acrobate. Ils fondent les tourments d’Emma la voltigeuse qui « n’aime la vie que pour ses tempêtes ». Rires, désillusions, équilibres instables… autant d’échos à sa chute programmée — ou à sa réinvention?

Les images vidéos sont des paysages existants dont les couleurs sont irréelles, psychédéliques, des paysages solarisés à l’excès, en lien avec les phantasmes exacerbés du personnage d’Emma, qui semble pourtant assister presque passivement au déroulement des évènements. Des inserts préenregistrés et d’autres en direct  ajoutent une dimension idéologique au propos.

L’une des premières scènes la montre tournant sur un socle, telle une poupée, vêtue par les hommes qui eux, se déshabillent conjointement. Ensuite, le bal est interprété collectivement dans une belle chorégraphie très Rosas. Après l’épisode du déménagement, la carte géographique de la ville est dessinée en direct, à même le sol terreux, et filmée en vue aérienne. Un pan de cloison se rétracte et laisse apparaître le logement des Bovary avec son piano. Puis, vient l’adresse au public et la « pause » barbe à papa, hilarante, menée avec brio par le facétieux Monsieur Lheureux (Stéphane Roger).

Musique live (trompette, piano, percussions), pop et variétés accompagnent les scènes. Tandis qu’Emma trouve enfin un amant qui la comble (Rodolphe, qui la prend pour cible au propre et au figuré), l’incomparable Marlene Saldana interprète avec humour l’érotisme du moment vécu par Emma et nous offre un moment intense de voltige équestre et burlesque. En vidéo sur un vrai cheval, et simultanément en scène sur un caisson au son de l’exaltant Whole Lotta Love de Led Zeppelin! C’est truculent, osé, jubilatoire… et immédiatement suivi de l’épisode du pied bot d’Hyppolite, gore à souhait!

Mais Emma refuse la scène du fiacre avec Léon, le jeune clerc de notaire (Davide Rao): elle commence alors à se distinguer du personnage de Flaubert. Tandis que Rodolphe (Harrison Arévalo) tente de s’extirper une larme pour mouiller sa lettre de rupture, Lheureux réclame le paiement des dettes d’Emma qui va devoir trouver la somme. Homais (Julien Honoré) le pharmacien est une sorte de clown blanc dans ce cirque existentiel. La naïveté de Charles (Jean-Charles Clichet) est touchante mais confine au bête aveuglement, encore que l’on pourrait penser qu’il est celui qui aime vraiment Emma et veut son bonheur avant toute chose.

Emouvante et passionnée, Ludivine Sagnier campe ici une Emma qui vit ses attentes et ses désirs avec ferveur. Elle le chante à plusieurs reprises avec talent. Son expression à la fois candide et déterminée rejoint l’image que l’on peut se faire de la classique Madame Bovary. Christophe Honoré fait un cadeau merveilleux à cette figure littéraire devenue mythique: Emma finit par concevoir sa liberté autrement, elle décide de ne pas mourir. Proche de notre époque, la mise en scène offre au personnage la possibilité de choisir son parcours à venir. Par son extrême richesse et les multiples émotions qu’offre cette réalisation, la pièce est remarquable, ne la manquez pas!

Flaubert avait placé un sous-titre à Madame Bovary : « Mœurs de province ». C’est peut-être étrange, mais à mes yeux le cœur secret de ce projet, ce qui m’attire tant, est contenu dans ces mots « Mœurs de province ». J’espère par ce spectacle retrouver quelque chose de la petite ville où j’ai grandi, retrouver les commerçants, l’odeur du feu de bois, les ruelles de nuit, les rumeurs de jour, les sous-bois où l’on s’étend, les bals auxquels on rêve de participer à la ville voisine, et la certitude qu’on maquille en espérance à peine crue, que seul l’amour peut nous sauver. Christophe Honoré (source)

Lien vers l’interview de la Radio Télévision Suisse Romande: Ludivine Sagnier et Harrison Arévalo