Livres d’artistes, livres uniques

Association Tirage limité, ENCART, Rencontres Romandes du livre d’artiste, Musée Alexis Forel, Morges

Les 5, 6, 7 septembre 2025, exposition dédiée aux livres uniques avec la participation de neuf artistes.

ENCART a lieu les années impaires, les années paires étant consacrées à un événement de beaucoup plus grande ampleur. Le but étant la promotion du livre d’artiste et l’actualité des productions récentes réalisées principalement en Suisse Romande.

Créer un livre unique, un défi pour l’artiste! En effet, le livre, par essence, est destiné à des lecteur.ices. Son futur ordinaire est d’être feuilleté, ouvert, lu et relu, corné, prêté, rangé parmi d’autres. Le livre unique, lui, ne sera touché qu’avec des gants et seulement lors de quelques occasions muséales ou privées.

L’exposition Jean Scheurer (ICI) présente son livre (celui-ci n’est pas unique, mais tiré en trois cents exemplaires). L’artiste y a réalisé deux mille cent dessins aquarellés, un peu à la manière des enlumineurs du Moyen Âge. L’association Tirage limité y répond en exposant neuf créations d’artistes dans une approche en marge de la surproduction du livre industriel.

Présentation du livre D’Etoiles et d’écrits, Jean Scheurer

N’ayant pas pu explorer toute l’exposition en présence des auteur.ices, je parlerai ici de trois productions qui m’ont intéressée et à propos desquelles j’ai pu partager avec les artistes.

Les « Tronches & Bobines » de Pierre Nydegger se présentent sous la forme de plusieurs petits livres rassemblant six portraits dont chacun est accompagné d’un texte original fictif. Les portraits ont été réalisés au crayon à mine de graphite. Les textes sont d’abord composés par l’artiste, lequel a ensuite choisi quels portraits leur associer.

Les portraits sont criants de vérité. Ils ont une singulière façon de vous renvoyer votre regard. Hé oui, ce sont des copies dessinées de photos d’identité judiciaire des XIXe et XXe siècle. Elles ont été collectées sur Internet. Les textes ne racontent pas leur véritable histoire, mais le peu que j’ai pu lire m’a paru pittoresque et original, écrit dans un style très vivant. A l’image de sa physionomie, l’anecdote qui lui correspond offre une clé pour saisir le personnage au travers d’un épisode particulièrement marquant raconté par un tiers. C’est fascinant. On aimerait en lire plus, se plonger dans ces courts récits, chercher des indices dans les traits des visages. Mais c’est à un exemplaire unique que nous avons affaire, précautions et gants blancs sont de mise.

Dans sa boîte de présentation originale, l’oeuvre arbore de plus un nom d’édition insolite et simultanément adéquat : les éditions copie zéro! D’accord pour un livre d’artiste unique, mais quelle frustration de ne pas pouvoir en voir et en lire plus! Et si…un diaporama ?

Irène Dacunha (site de l’artiste) a choisi le format du leporello pour développer, entre autres, sa fascination des légendes de Terre de Feu et les costumes de ses habitants. Il semble que l’artiste répertorie des univers diversifiés. Que ce soit depuis l’art préhistoire ou les contrées lointaines, son travail explore les racines de l’humanité par le biais de son art .

En Terre de Feu, elle saisit les visages purs et les costumes rituels. Les traces laissées au-delà du temps, l’inexorabilité des signes laissés par la tradition, les pratiques ancestrales. Le leporello forme une danse où l’on entre visuellement comme l’invitation à un cérémonial.

D’autres travaux de cette artiste sont exposés, tous des livres uniques. L’un raconte les propres origines valaisannes de l’artiste et l’autre catalogue précisément des grottes dont elle redessine les parois de glyphes imaginaires. Deux films sont à visionner sur son site pour s’imprégner de sa pratique artistique singulière et quasi spirituelle.

Le livre unique de l’artiste Viviane Rombaldi Seppey est un poème visuel. Il évoque très simplement la visite incongrue de l’écrivain James Baldwin en 1951 au Valais, qu’il relate dans son texte « Un étranger au village« . Le séjour n’y fut pas des plus agréable semble-t-il…et pourtant il y reviendra.

C’est un livre de format tout en longueur qui déploie des cartes géographiques et les yeux de l’écrivain. En le feuilletant, ces yeux disparaissent dans un sens ou réapparaissent dans l’autre. Et c’est le regard doux et lucide de l’artiste en observateur qui nous permet de le réaliser : en tant qu’étranger, noir de surcroît, il devient le découvreur d’une culture de la blanchité que l’on voudrait archaïque. Ici, le film de Pierre Koralnik, où Baldwin raconte lui-même ce voyage édifiant, ainsi que ses réflexions sur les discriminations envers les noir.e.s.

Il y avait six autres participant.e.s à cette recontre sur le livre unique: Claude Augsburger, Alain Croquelois, Marion Jaccard, Patricia Laguerre, Delphine Sandoz (et sur ce blog) et Anne Voeffray.

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