« Borda » Lia Rodrigues

Festival de la Bâtie, du 1 au 3 septembre 2025 à la Comédie de Genève.

Photo Sammi Landweer

Borda, un terme portugais qui signifie frontières, qu’elles soient matérielles ou psychiques. La brésilienne Lia Rodrigues, elle, s’intéresse aux lisières, car dans ces entre-deux mondes, tout se mêle et se croise et se transforme de façon créative. Borda fait aussi référence à la broderie, un travail artisanal effectué par sa compagnie Lia Rodrigues Companhia de Danças, fondée en 1990 à Rio de Janeiro, qui a pour objectif de créer du lien social entre les habitants des favelas et le reste de la population citadine.

Dans la pénombre, un frisottis de blancheur (une fumée?). Peu à peu, cette image s’apparente plutôt à une ligne de nuages, unpeu comme celle qui surmonte les paysages lacustres du peintre Ferdinand Hodler. Cependant, on y distingue un léger, très léger mouvement. Un renflement, un monticule qui s’élève imperceptiblement. Et cela dure…assez longtemps. On entend les crissements tout juste perceptibles du plastique qui se déploie. C’est aussi jouissif qu’un ASMR et c’est accompagné par la vision sans cesse renouvelée de cet masse laiteuse en transmutation.

Mais bientôt un visage apparaît, puis deux, puis neuf! Yeux écarquillés et mimiques exagérées, à peine vus que disparus. C’est un perpétuel mouvement qui anime cet agrégat de blancheur, entrecoupé de quelques secondes de pauses immobiles, comme pour enfin se laisser admirer, tel un tableau baroque ou loufoque.

De ces silencieuses métamorphoses, quelques chuchotements émergent qui tournent aux petits cris et paroles indistinctes, ou en bribes de chants. Mais le mouvement, le flux, la houle ne s’éteint pas, le roulement semble même s’accélérer, des choses jetées éclaboussent la vague, des mains surgissent de cette écume, un tempo sourd commence à rythmer le roulis et les corps émergent et s’habillent de couleurs. Bientôt, la musique s’amplifie de sonorités africaines. Après la sarabande, voici une bacchanale explosive, formant des noeuds humains de constructions improbables. Une alignée d’hommes portant des têtes (et des fessiers), un djinn gourmand se pavane sur ses multiples jambes, une créature dont on garnit les bras de tissus blancs s’offre des ailes d’ange immaculées (ou celles d’un majestueux condor?), nous entrons un peu plus encore dans un univers peuplé d’esprits fripons et délurés. Jusqu’à ce qu’iels mutent en majesté et deviennent rois et reines, sous leurs tiares scintillantes.

Régal pour les yeux, neurones miroir en activité, douceur et intensité, dynamisme et précision, ce spectacle de Lia Rodrigues me fait amèrement regretter de ne pas avoir vu les deux premiers opus de son bien nommé triptyque. La compagnie emmène en effet le public dans un trip complétement jubilatoire débutant dans le silence et la lenteur d’une poésie subtile pour se terminer dans la folie et l’humour d’un carnaval euphorique et sauvage.

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