Alain Huck (1957) – Respirer une fois sur deux

Après Miquel Barcelò, un autre artiste né en 1957: Alain Huck, qui présente trente années de travail au MCBA (Musée Cantonal des Beaux-Arts de Lausanne).

C’est l’intitulé de l’exposition. Une respiration alternée qui évoque l’oppression, mais également le yoga et la méditation, la conscience, la régularité et le présent. L’accrochage peut surprendre lorsque l’on connait et admire les grands formats au fusain de l’artiste (ses salons noirs), exposés plusieurs fois dans ce lieu. Il a été conçu avec l’artiste avec pour objectif une vraie rétrospective de près de trente ans de création en trois salles d’exposition.

La première salle (Nature) est couronnée par l’injonction « Vite soyons heureux il le faut je le veux », une proposition qui ne nous est pas inconnue, entre messages publicitaires et vantardises de réseaux sociaux. Il délivre cependant une angoisse latente, une exigence stressante. Un aspect appuyé par l’installation adjacente, des agaves scarifiés du mot EDEN (2012), comme un avertissement, une menace du monde végétal. Ci-dessus la trace du corps du chat de l’artiste qui avait élu ce tas d’herbes sèches comme coussin de repos… un peu comme une oeuvre amie ou alliée…

Tout autour sont disposés des petits formats (dessins, aquarelles, gouaches, graphites, crayons de couleur, craie, encres, stylos à bille, marqueurs, etc) composant une sélection de deux séries dont Postanimal Beauty (1992-2023), une sorte d’archive visuelle pour l’artiste, une source d’où jaillirent d’autres oeuvres. On y décèle la prédilection de Huck pour les mots, les consonances, les associations d’idées (comme un écho: Marcel Duchamp). La variété des techniques rime avec celle des mots et des thématiques.

« Miroir, Oh Miroir! », 2008-2021, m’a attirée comme un aimant, puisque je me gorge, telle une éponge, de l’esprit de ces artistes qui partagent leurs introspections, leurs rêveries et expriment un souffle vital, le partageant avec générosité.

La salle 2 est présentée sous le dénomination Histoire. Elle raconte autant la grande Histoire que la petite, l’intime. Chrysanthemum, 2013, évoque à la fois la fleur et la bombe atomique. La feuille de salle explique qu’elle fut inspirée à l’artiste par le livre de Kensaburô ÔE, « Dites-nous comment survivre à notre folie? » dont le récit fait allusion à une fleur-tumeur envahissante. Un travail au fusain saisissant.

Et celle-ci, ma préférée!

Quatre dessins (Année Zéro, 2015) et une sculpture-suspension parlent du regard. Quatre bûches aux yeux ronds tournés vers l’installation Epitaphe, 2008-2013, qui raconte deux fois le monde : Une fois dans une version « totalement vraie » et l’autre « totalement fausse ». Négligemment posées sur le support en bambou, on y voit pourtant deux fois le même récit. Où est la vérité? Où est le mensonge? Comment les distinguer? Les perches de bambous noires et blanches qui supportent les textes grisés sont éloquents.

Mens/Songe, 2007. Toujours double, comme le regard…

Le langage, ses différentes expressions, sa compréhension sont au centre de l’oeuvre de Huck. Il y a une vidéo de la bouche de l’artiste prononçant une liste chuchotée des langages animaliers: On l’écoute avec respect et en tendant l’oreille. Comme une injonction tendre envers eux: écoutons les animaux!!! Ce qui me rappelle l’Histoire chuchotée de l’Art de Robert Filliou.

Un dessin au graphite monumental assez dérangeant accolé à des sacs plastiques, lestés chacun par une pierre, annotés de ces mots: « De la rafale aux chants, du champ à la route ». Et un poème, dont je n’ai pas noté l’auteur. Nature minérale et culture envahissante?

Je n’en montre qu’un, mais la série de dessins graphite Darkness of Heart (2017-2018), qui en compte onze, est l’histoire retranscrite à l’envers (!) du roman de Joseph Conrad « Au coeur des ténèbres ». L’intention est de remonter simultanément le cours du fleuve et du récit. L’écriture fait apparaître en espace négatif le delta du fleuve Congo et c’est toute la violence coloniale accompagnée du regard occidental qui est déployée dans cette oeuvre au long cours, c’est le cas de dire.

Des sacs de jute provenant de plusieurs pays du monde sont annotés par l’artiste: c’est l’installation Pause. Ils témoignent de l’exploitation et de la mondialisation commerciale. La répartition inégale des biens est au coeur de cette installation, tout comme l’attention qui doit être portée aux ressources naturelles. (Instagram: L’artiste s’exprime ici)

La troisième salle est une évocation du Contrat Social, entre pouvoir et collectif, nature et culture. c’est une sorte de constat et de questionnement personnel de l’artiste sur son oeuvre et le discours qu’elle transporte. Les mots néons sont enfermés dans un grillage serré, ils se font face, comme en lutte.

Une exposition rétrospective partielle et resserrée de trente ans de création de l’un de nos plus grands artistes contemporains suisses qu’il faut aller voir au MCBA, Lausanne, jusqu’au 7 septembre 2025. Vous y découvrirez bien d’autres travaux, vidéos, sculptures, dessins, et les contemplerez dans leur réalité en constatant la puissance et la richesse de l’oeuvre d’Alain Huck.

Pour terminer, je me demande ce que vous évoque ce dessin, sur lequel se reflète les mots de l’oeuvre « du contrat social »? Personnellement, j’y vois quelque chose de très féministe!

Réalisée en étroite collaboration avec l’artiste, l’exposition s’articule autour de la question du texte et de son rapport à l’image, du langage et de sa représentation, de ce qui peut être dit ou de ce qui est tu, de ce qui fait mémoire ou de ce qui fait histoire. Au même titre que, dans les œuvres, des significations surgissent du montage entre texte et image, de la superposition d’images distinctes ou encore de l’incertitude de l’image elle-même, l’exposition est conçue par associations d’idées. Huck crée ici des dialogues entre des œuvres de périodes et de nature très différentes. Des travaux issus de séries de dessins majeures côtoient des œuvres réalisées sur des supports aussi divers que des bâches, des sacs de jute, des plantes ou encore des néons, en un parcours non chronologique, générateur de sens. ( présentation du musée)

Ici un article de Florence Millioud sur le quotidien vaudois 24H

2 réflexions sur “Alain Huck (1957) – Respirer une fois sur deux

Laisser un commentaire