Mon festival off Avignon 2025

Cette année, 19 spectacles au festival off sur une semaine. Boulimique? peut-être, mais l’offre est si généreuse. J’avais sélectionné plusieurs spectacles depuis chez moi et acheté facilement quelques tickets. J’ai complété sur place et, évidemment, je regrette d’en avoir manqué plusieurs. On cherche toujours la perle qui manque à notre collier.

En parlant de collier, les multiples expositions (Collection Lambert, Palais des Papes) de Jean-Michel Othoniel m’ont navrée. Les perles sont belles, née à Murano, et bien arrangées, c’est tout. Aucun esprit dans ce travail, enfiler des perles est l’expression qui convient. Il empile aussi des cubes et imprime des fleurs avec je ne sais quoi (des patates?). Je préfère la banane scotchée au mur de Maurizio Cattelan: elle au moins dit quelque chose de l’art et de son marché.

Bref, la collection Lambert a offert un bel écrin à la Cie Greffe de Cindy van Acker pour ses « Impromptus ». Le jour où nous y étions, nous avons pu suivre trois pièces subtiles, douces, méditatives et lentes, se produisant dans trois salles différentes, et donc accompagnées d’oeuvres de la collection.

Je n’ai pas pris de notes à chaque représentation, je me base sur mes souvenirs. Mes échos seront donc brefs et par ordre de préférences.

Negative Space (La Manufacture) de Reckless Sleepers.

Mon coup de coeur. Un cube blanc à trois faces, deux chaises, deux marteaux, deux roses, une brosse. On peut tout imaginer et avant tout nos interactions parmi la société, nos relations humaines, nos fragilités et nos forces, les rapports de genre, entre cruauté et soins, la lutte pour survivre, la domination, l’utilisation que l’on fait des autres, leur manipulation, la peur et la confiance, la destruction de l’environnement, les luttes, les efforts, les doutes, la vie quoi!

L’Abécédaire acrobatique (L’Atelier, la manutention) de IDEM COLLECTIF

Basé sur des fragments de l’abécédaire de Gilles Deleuze, un comédien et deux circassiens expriment au moyen de leurs corps le cheminement de la pensée deleuzienne. La voix du Maître accompagne épisodiquement cette représentation totalement jouissive. On l’entend réfléchir à ses chers concepts: « Qu’est-ce que ça veut dire avoir quelque chose de commun avec quelqu’un?« , « L’art, c’est libérer une vie. Pas sa vie, UNE vie. », « Tu désires toujours un ensemble, pas une femme (ou un homme), un paysage« . Et les acrobates se mettent sens dessus dessous, miment, adoptent des postures d’équilibristes, se portent, s’agencent, tels les blocs de conscience de Deleuze, lui-même traversé par son inconscient, son usine à produire. Partager de la philosophie ainsi est une joie!

La Nouvelle Antigone (95.Au verbe fou) mise en scène Marek M. Chojecki, texte Frédérique Zahnd.

Antigone, activiste climatique, est confrontée à trois figures politiques lors d’un débat. Créon fait partie de l’extrême droite, Ismène de gauche et Hémon plutôt centriste. Antigone incarne les luttes, elle se bat pour les acquis de la conscience humaine, elle ne peut vivre sans s’engager pour ses idées. La belle idée est d’alterner des bribes du texte de Sophocle et le débat politique. Antigone (Jade Iysurey) est magistrale dans son indignation, elle joue sa vie avec superbe. On a adoré détester Créon. Un spectacle passionnant.

La lente et difficile agonie du crapaud buffle sur le socle du patriarcat (le train bleu) Compagnie Akté

4 décembre 2021, dans son émission Répliques, Alain Finkielkraut reçoit la philosophe Camille Froidevaux-Metterie, autrice, et l’essayiste Jean-Michel Delacomptée, auteur. La rencontre est fameuse pour les féministes! (d’ailleurs toujours écoutable ICI). L’ancien monde patriarcal figé dans ses privilèges face à une femme dont les propos sont d’une clarté et d’une évidence pénétrantes. Les comédien.ne.s rejouent ce débat à la virgule près (avec un intermède moqueur) et c’est un régal de les voir après avoir entendu l’émission! Prenez le temps de l’écouter, elle est magistrale!

Viril(e.s) (11.Avignon) Cie dtm 9.4

Un récit où se croisent les identités de cinq personnes qui n’entrent pas dans ce que l’on pourrait nommer le cadre ordinaire d’une définition obsolète de la féminité. Violente, sportive pro, non binaire, anti autorité ou trans, elles questionnent les images paraissant antinomique entre virilité et féminité. Aussi drôle qu’incisif, en rap ou en chanson, en monologue ou dansé, elles invoquent la liberté de ne pas être spécifiques.

Amor-Choisir sans renoncer (11.Avignon) Cie Marjolaine Minot

Scénographie simple et efficace pour cette confrontation d’un couple établi que madame remet en question. La DS 21 miniature roule sur de grandes formes géométriques bleues et rouges, symbolisant les creux et les bosses que traversent les protagonistes. Iels s’interrogent sur le couple, un archétype dépassé? A réinventer, c’est sûr! Nietzsche, Spinoza et Victoire Tuaillon ne seront pas de trop pour remettre du carburant dans le réservoir…

Les Subversives (11.Avignon) Les Filles de Simone

Elles sont deux et transforme la salle de classe du collège en trois communautés de femmes: Oregon Women’s land Trust (OWL) dès 1975, les Béguines dès 1284 et actuellement, la Maison des Babayagas de Montreuil. A l’aide de quelques accessoires, nous sommes inclues (oui, même les hommes sont féminisés) dans le récit, participons à un ovulaire (et non un séminaire…), testons l’odeur des plantes médicinales, écoutons une femme âgée parler de solidarité entre femmes, etc. Inventif et exemplaire.

Introducing Living Smile Vidya (La Manufacture) Das Theaterkolleg, Sélection Suisse en Avignon

La personnalité rayonnante de Smiley illumine son récit autobiographique. « Née garçon en Inde du sud, au sein de la caste marginalisée des dalits, la voici, quelques décennies plus tard, trans activiste sur les scènes d’Europe, au fil d’un parcours semé d’épreuves et de courage. » Dans ce spectacle, elle donne avec le sourire un aperçu de sa lutte douloureuse et acharnée pour enfin accéder à son identité de femme. Engagez-là! Comme l’a fait la Maison Saint Gervais (Genève).

A la Trace (La Manufacture) Uppercut Prod

« Conférence narrative, visuelle et musicale d’après un texte de Baptiste Morizot » Des histoires de loups et d’ours, des animations sur écran, de la musique (un peu trop forte) et un conteur épatant.

Paradoxal (11.Avignon) Cie le Cri de l’Armoire

Quasi seul en scène (une apparition à la fin), Marien Tillet joue un journaliste, un chercheur en rêve, un professeur, un cobaye… il nous entraîne dans un récit entre rêve et réalité. Est-ce un thriller, un drame, une conférence? Il nous raconte l’histoire de Maryline, engagée par un programme de recherche sur le rêve lucide. Entre le conscient et l’inconscient, où est la frontière? Seulement accompagné d’une kyrielle de petites bouteilles d’eau, il nous fait douter du réel et nous plonge dans l’étrange. Palpitant, presque jusqu’au bout.

C’est quoi le problème? (Impro Club d’Avignon) Cie Avolo

Ma première représentation d’improvisation théâtrale. Au sujet de la dispute, le public est invité à proposer un cas personnel dont les deux comédien.ne.s s’emparent au pied levé. Iels ont ainsi développé trois saynettes. Impressionnant.

Trois courtes pièces de Molière en trois époques épiques (Théâtre du Roi René) Cie Rugir l’Art

Sur un tréteau, dans une cour ombragée, un matin comme on les aime! D’abord le Baroque avec le Médecin Volant: perruques longues, ton outré, R roulés, clavecin, terminales prononcées. Ensuite l‘Amour Médecin en comedia del’arte: guitare et sarabande, masques, cris et pleurs, participations et adresses au public, et finalement la Jalousie du Barbouillé en contemporain: forte musique techno, bière au plateau, torse nu, la mise en scène la moins convaincante. Il faut au moins un classique durant le festival et Aura Coben (jeu et mise en scène) est palpitante!

Théâtre à la carte (théâtre du Roi René) Les Collectionneurs Production

Au menu, à choix: entrées romantique (Molière, Musset, Tchekhov), plats classique (Shakespeare, Hugo, Camus), plateau de Vaudeville (Labiche, Courteline, Feydeau), desserts (Kelly, Pommerat, Al-Saadi). Sans oublier un menu enfant des plus croustillant. Joliment présenté, choisi par un membre du public, joué avec dynamisme, une formule chic et pas chère! Réjouissant.

Complexes (11.Avignon) L’ancre-Théâtre Royal

Trois diablesses rendent visite à une pole danseuse qui tentée par le métier d’actrice. Drôle et osé, ce spectacle burlesque a clôt notre séjour. Il nous offre un panégyrique de la complexité de se construire en tant que femme avec énergie et humour. Décoiffant.

Autopsie d’une photo de famille (La Manufacture) Cie de l’Arcade

Il s’agit de souffrance. Deux personnages, deux hommes blessés dans leur enfance, il faut le savoir. La première partie se déroule devant un rideau de gaze et les 7 comédien.ne.s, à tour de rôle, évoquent les souvenirs du premier. Puis le rideau s’ouvre sur un salon, une grande table de repas de famille et une grande photo accrochée au mur du fond: celle qui va être analysée par différents personnages. Les comédiens sont intenses. Pourtant la première partie parait longue et monotone, la seconde est plus intéressante. Peut-être aurait-il fallu se concentrer sur un seul récit? Plutôt écrasant et solennel, même si une danseuse apporte un peu de corps à l’affaire.

Una Bestia (La Manufacture) La Familia

Le pianiste Romain Dubois seul-en-scène. Entre Keith Jarett et Pascal Auberson. Des boucles musicales assez envoûtantes et une attitude hyper introvertie. Un concert oubliable…

Elia Généalogie d’un Faussaire (théâtre le petit chien) Cie Artisic Scenic

C’est l’histoire d’un enfant abandonné qui devient peintre faussaire, fait de la prison, puis signe son travail d’un nom enfoui en lui. Nous sommes dans son atelier et une femme américaine débarque. J’avoue m’être ennuyée bien que le sujet proche de l’art ait pu m’intéresser. La véhémence du peintre? L’empilement des récits? intrigant mais, pour ma part, manquant d’aspérité.

Aujourd’hui j’ai 40000 ans (Théâtre le vieux Sage) Cie Les Têtes de l’Art

Un reste de Neanderthal surgissant chez un homme au physique hors du commun, une robote bardée d’IA ayant réponse à à tout, une adorable maquilleuse. L’auteur et interprète Richard Gauteron possède une présence impressionnante, pourtant je ne sais même plus ce qui se passe dans la pièce. Nous n’étions que trois spectateurices et c’est très gênant. Pour nous, mais évidemment aussi pour eux je suppose. Dommage.

Holden (La Manufacture) Le Café Vainqueur

En voilà un que je n’ai pas apprécié du tout. Appâtée par le titre évoquant L’attrape-coeurs de Salinger, j’y allais pourtant avec espoir. La comédienne et la mise en scène sont pertinentes, mais le mal-être de l’héroïne a dû m’attaquer aussi, j’en suis sortie hérissée et, ce qui m’arrive rarement, totalement négative. Trop de bruit, trop de pathos, trop rapide et trop lent à la fois. Pas pour moi.

Voilà, c’est fini…(j’entends toujours Jean-Louis Aubert quand je dis ça). Je me conseille de moins écouter les tracteurices l’an prochain, si j’ai la chance d’y revenir. L’ambiance, la lumière, la foule de passionné.es, les petits restau (V&G: excellent! Oiseau: très goûteux, Béou: chic et bon, L’épicerie: bon…dé!), découvrir dans le off et dans le in, avec ses superbes et moins bonnes surprises, que de bonheurs et de plaisirs où l’on peut laisser le monde et ses soucis au fond du sac à penser.

5 réflexions sur “Mon festival off Avignon 2025

  1. Quel programme ! Je ne suis encore jamais descendu à Avignon mais j’imagine qu’on ne doit savoir où donner de la tête et des yeux. Mon fils y était cette année, en stage à la FEVIS, il a pu me raconter l’ambiance incroyable du festival. Ta revue critique donne envie de se plonger dans cette effervescence de spectacle vivant. 🙏

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    1. Oh merci prince! J’en sors toujours un peu frustrée d’avoir manqué des pièces formidables, celles dont on entend parler après. Pour cela le cinéma est mieux, car les captations théâtrales du spectacle vivant sont rarement enthousiasmantes.

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