« Nôt » Marlene Monteiro Freitas

Vu le 10 juillet 2025, Cour d’honneur du Palais des Papes, Avignon

La danse est pour la première fois en ouverture du festival. Puisque la langue invitée est l’arabe, Marlene Monteiro Freitas a choisi pour thème « Les Mille et Unes Nuits ». Va-t-on se retrouver dans la magnificence d’un palais de sultan? La chorégraphe capverdienne, impitoyable, replace le désert au milieu de l’oasis et évoque plutôt les féminicides de ce patriarche oriental qui tuait chaque matin la femme épousée la veille.

Photo ©Christophe Raynaud de Lage

Ni or ni fastueuses tentures. Exit les tapis d’Orient et les soieries chatoyantes. L’immensité de la scène du palais des papes est quadrillée par des grillages comme une feuille d’écolier. Quelques chaises, trois lits de camp, des arêtes en triangle pour tout abri, des robes noires et des chaussettes rouges pour tout costume. Est-ce pour désigner nos sanglantes parades humaines?

Un danseur fascinant apparaît et déambule entre les cages blanches avec élégance. Un homme parle en grimaçant qu’aucun son ne soit entendu, des bruitages se mêlent au choeur, un homme mime se soulager dans un pot de chambre puis investit les gradins avec son butin virtuel, créant un malaise dans le public. Une femme frotte le décor en gémissant de plaisir, d’autres arrivent masquées, poupées de cire à l’expression figée. Un sentiment d’incompréhension s’étend peu à peu. Le grotesque concurrence le burlesque. Les couches de draps ensanglantés sont les seules références, semble-t-il, aux crimes du récit. Qui donc figure le sultan? Et pourquoi Shéhérazade (si c’est bien elle) ne possède-t-elle que des jambes factices et molles?

Les postures des corps et leurs mouvements remplacent les paroles manquantes. Comme si la Shéhérazade d’aujourd’hui n’avait plus de parole. Comme si la musique et les choeurs pouvaient seuls sauver sa vie. Les musiciens sont impeccables et jouent des caisses claires, des percussions puissantes et formidables qui scandent les « Noces » de Stravinski, Nick Cave ou encore Prince. En fait, nous assistons à un presqu’opéra contemporain, un carnaval burlesque et décalé qui ne suit aucune règle. La mosaïque musicale qui compose la partition du spectacle m’a évoqué du Zappa, ou même Nina Hagen. Mon compagnon, lui, a pensé à Magma. Des sons expérimentaux, mais strictement régulés, ponctués épisodiquement par des claquements de mouchoirs blancs.

Le final est musicalement grandiose. On ressort pourtant de la performance interdit, vaguement frustré, cherchant le fil rouge de ce spectacle oxymore, précision chaotique, d’une frénésie audacieuse. Dommage que ce soit tout de même assez ennuyeux. Tout ce qu’on pourrait en dire est vain, sauf que l’artiste chorégraphe est véritablement libre, sans concession, qu’elle joue de ses performances délirantes avec une gourmandise aussi effarante qu’enviable. Pour cela (et pour les acteurices musicien.ne.s) chapeau bas!

A voir à la Comédie de Genève les 28b et 29 août 2025.

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