Miquel Barcelo (1957) – Autofictions

Du 29 mars au 28 septembre 2025, Fondation Jan Michalski, Montricher (VD, Suisse)

Miquel Barcelò, un artiste contemporain qui passe son enfance sur l’ìle de Majorque, entre nature avec son père et peinture de sa mère. Il a l’avantage d’une première exposition individuelle sur son île à l’âge de 17 ans. Après un premier voyage en Italie et l’abandon d’études d’art trop académiques pour lui, il s’intéresse à l’art conceptuel et expose plus de deux cents boîtes (Cadaverina 15) à couvercles transparents emplies de matières organiques. La transformation de la matière l’intéresse. Il revient à l’expressionnisme et la figuration dès le début des années 1980 et débute, entre autres, son exploration de la matérialité du livre tout en affirmant ses liens avec la lecture et l’écriture. En 1983, grâce à Bob Calle, le père de Sophie, l’une de ses oeuvres est achetée pour le Musée National d’art moderne de Paris. Dès cette époque le motif du livre devient récurrent. Il rencontre Basquiat, Miro, Warhol, Twombly. Il voyage beaucoup, particulièrement au Mali, et expose jusqu’à New York. En 1995, il représente l’Espagne à la Biennale de Venise. Dès les années 2000, il est mandaté par l’Etat espagnol pour la décoration d’une chapelle de la Cathédrale de Palma de Majorque, il le fera également en 2007 pour la Salle des droits de l’homme et de l’alliance des
civilisations de l’ONU à Genève. Il est même monté sur scène en 2006 avec Josef Nadj pour un spectacle-performance Paso Doble présenté dans la cour d’honneur du Palais des Papes au Festival d’Avignon. Ce grand voyageur travaille en 2025 à à la réalisation de modèles de tapisseries pour la cathédrale de Notre-Dame de Paris. Très brève biographie, juste pour un avant-goût, vous savez maintenant que Miquel Barcelò est un peintre contemporain majeur. La présence du livre en tant qu’objet, mais aussi source de connaissance, est récurrente dans son oeuvre, d’où l’intérêt de la Fondation Michalski pour l’écriture et la littérature pour le travail de cet artiste. Quelques extraits photographiques de cette petite exposition qui présente

La technique utilisée par l’artiste pour l’autoportrait ci-dessus rappelle une oeuvre de 2016: « L’œuvre monumentale et éphémère Le Grand Verre de terre / Vidre de Meravelles (2016) a été réalisée par Miquel Barceló en février 2016 sur les vitres de la Bibliothèque nationale de France (BnF). Il en reste aujourd’hui des milliers de photos publiées sur internet ou conservées dans des archives privées, des documentaires ainsi qu’un livre d’art paru en 2020 chez La Fábrica où les photographes Jean-Marie del Moral, François Halard et André Morin ont saisi des détails ou reconstitué chacun des panneaux qui composent ce vitrail imposant et fragile. » (voir ici)

Un saisissant portrait de l’écrivain Paul Bowles, ami de l’artiste. Juste avant la parution de son livre évènement « Un thé au Sahara« , Paul Bowles rencontre Miquel Barcelò à Tanger en 1990. Il s’en suivra une correspondance de longue haleine. Publié en 2010, le récit de Bowles, « La boucle du Niger« , son dernier, est illustré par Barcelò, lui-même étant l’inspiration de l’un des personnages de ce livre. (video Bowles à Tanger). Le portrait ci-dessus est composé de vinyle, pigments, fusain et collage sur toile. Il s’apparente presque à un bas-relief.

Adam, 2011 et JL Nancy, 2012

Ci-dessus, deux portraits façonnés à l’eau de javel sur toile et rehaussés de craie blanche et fusain. Cette technique offre à ces visages une dimension éthérée qui les apparente à des esprits jaillissant des ténèbres.

Deux études sans titres, pigment et fusain, datant de 1993

L’exposition se passe de tout texte, exceptés le titrage et le datage des oeuvres. Elle n’est pas chronologique, mais s’attache aux productions en lien avec le livre et la littérature. Le premier étage montre dessins, peintures et carnets, ces derniers au nombre de plus de 300, relatent en particulier ses voyages en Afrique. On y voit aussi une série de céramiques.

« Une de mes passions, c’est Raymond Roussel [1877-1933]. Impressions d’Afrique [1909], c’est plus proche de la peinture que de la littérature. La phrase est plastique. » (ITW le Monde, 2021) Voilà une citation de Miquel Barcelò qui rejoint la vision de Marcel Duchamp (il est partout!) au sujet de Raymond Roussel (1877-1933). Il inscrit son patronyme à l’envers sur cette toile représentant une sorte de coquille d’oeuf flottant sur une mer moutonneuse. L’esquif s’est renversé (en relief) et semble avaler les remous environnants, comme s’il laissait entendre que l’oeuvre de Roussel en est constituée.

Miquel Barcelò, « Roussel », 2020

Deux lithographies de 1984 montrent sur l’une, le livre apparenté à un aquarium et des arêtes de poisson, sur l’autre un lecteur embarqué par sa lecture. pour moi, ces deux oeuvres décrivent efficacement à quel point nous sommes plongés au coeur d’une littérature qui nous passionne.

Environ 340 carnets documentent l’oeuvre multiple de Miquel Barcelò. L’exposition en présente quelques-uns sous vitrine, de façon chronologique. Ce qui permet de rendre compte des voyages continuels entrepris par l’artiste.

La salle inférieure continue l’exploration de l’oeuvre avec trois tableaux monumentaux et quelques bronzes. « Le banquet avec Poe » (2022, vinyle, pigments, encre et fusain sur toile) est particulièrement saisissant. D’une dextérité remarquable, ce focus sur un segment de table de festin, éclairé aux candélabres, parsemé de crânes et de chevelures, évoquant aussi Maupassant ou Baudelaire, dépeint avec brio une ambiance sépulcrale mise en lumière par l’écrivain et ses sombres réflexions sur la nature humaine.

Cette autre table, cette fois joyeusement colorée, n’en est pas moins lugubre, présentant de multiples cadavres d’animaux ainsi qu’un crâne humain, rappelant que la mort n’oublie personne.

« Taula amb faisà », août 1991, vinyle, pigments, collage et matières organiques sur toile.

Dans cette immense bibliothèque, où l’on croit voir un lecteur au premier plan, ce sont les livres eux-mêmes qui illuminent la salle.

« Bibliothèque longue », Février 1984-mars 1985, vinyle et pigments sur toile de lin.

Un singe élevé sur une pile de livres, un bouc se nourrissant d’un écrit, Don Quichotte submergé par ses lectures, une soupe de manuscrits accompagnée de poulpes, ces êtres à huit bras, trois coeurs et neuf cerveaux, considérés comme les invertébrés les plus intelligents, autant de symboles glorifiant la littérature et ses richesses.

Une petite exposition thématique introduisant fort bien l’oeuvre du majorquin d’origine Miquel Barcelò et l’abondante diversité de ses créations..

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