
Théâtre de Vidy du 16 au 25 mai 2025, puis au festival d’Avignon du 12 au 17 juillet 2025.
Avec Liliana Benini, Charlotte Clamens, Raphael Clamer, Federica Fracassi, Lukas Metzenbauer, Graham F. Valentine. Dramaturgie : Malte Ubenauf
Un sommet de six personnes dans un chalet, voilà un pitch plutôt sommaire, mais pour qui a déjà consommé du Marthaler, on peut s’attendre à tout un plat à partir de cela. D’ailleurs, les protagonistes débarquent par le monte-plats!
Aux questions: qui sont ces gens? Que font-iels là? De quel sommet parle-t-on? N’attendez aucune réponse et do it yourself. Leur identité restera un mystère même si iels dévoileront quelques-unes de leurs convictions durant le spectacle. Car chacun.e aura l’occasion de profiter d’un temps de parole personnel. L’une semble bigote, l’autre incrédule, la troisième névrosée, le suivant plastronne d’abondance, le plus jeune est incompréhensible en schwyzerdütsch (son accordéon parle pour lui) et l’inénarrable Graham F. Valentine n’a qu’à paraître pour signifier sa singularité. Iels parlent des langues différentes et semblent englobé.e.s dans leur propre bulle d’indépendance, qui éclatera lors de quelques épisodes. De plus, à l’extérieur, la catastrophe climatique gronde… Un sommet européen plus vrai que nature?

On embarque alors pour ce lieu culminant où règne l’absurde. Une partition de « oui-si-ja-but-yes… » est décryptée par le groupe sur classeurs individuels, un QCR insensé ne les étonne pas, la température s’élève et le chalet devient sauna, les passages d’hélicoptère font enfler l’inquiétude, iels se pomponnent pour une séance photo improvisée, un discours assourdi s’adresse à un public qui n’y entend goutte, des chants choraux installent enfin des cohésions, un laïus rythmé sur joues est parfaitement entendu et compris d’elleux seul.e.s, un télex crache un long message qui les rend hilares, on se déchaîne dans une séance de gym à bâtons de ski rompus, des extincteurs qui n’éteindront rien car gonflables leur tombent dessus, les toilettes s’effondrent et le livre d’or de la cabane dévoile d’archaïques et insondables merveilles ( » le temps infini comme un bruissement se sert de moi« ).
Les objets, les sons, les costumes, les accessoires sont autant de guet-apens inopinés: la parole d’une vierge de plâtre, un placard à microphone, un téléviseur extensible, l’imprévisible monte-charge, les bâtons de ski, les chansons qui vont du yodel à James Brown en passant par Le vieux chalet, un tuyau de poêle habité, etc. Comme les mots, ils sont autant de pièges à rire et sourire, puis tout à coup, trouvent une cohérence.

Cette description partielle n’a l’air de rien: impossible de raconter un tel procédé. De la poésie pure assaisonnée de piment comique et d’une sauce extravagante. Et pourtant s’y glissent des allégories du présent… Les personnages semblent proches de nous et à la fois lointains. Le scénario se déroule avec précision et nous embarque dans ses dingueries avec gourmandise. Le public est soumis aux flottements, surprises, émerveillements, humour de situations, incompréhensions cocasses, postures saugrenues, surprenants soliloques et se laisse bercer, comme le sera finalement ce sommet, réchauffé par la poésie du spectacle.

Vidy organise une exposition (commissariat Eric Vautrin) sur l’oeuvre de Christoph Marthaler dans le foyer du théâtre. Ce mythique metteur en scène et musicien zurichois au 110 spectacles « développe une esthétique du dérisoire, ancrée dans des décors du quotidien et l’histoire suisse.. Par la lenteur, l’ironie et le décalage, sa poésie scénique doit autant à dada, qu’à Schubert et à John Cage. (citation de la feuille de salle). L’exposition se présente comme un cabinet de curiosités d’objets trouvés, comme des souvenirs de voyage. Feuille de salle de l’expo.

A lire, l’analyse personnelle fouillée de Inès Kara (1 décembre 2025): La scénographie du Sommet de Marthaler : un huis clos au grand air. La servante. Consulté le 13 décembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/15929

Une réflexion sur “« Le Sommet » Christoph Marthaler”