Escapade jurassienne

Quittant les bords vaudois du lac Léman par le rail, nous nous avons traversé les cantons de Neuchâtel et Berne pour celui du Jura. Le plus récent des 26 cantons suisses date de 1978. Sans tenir compte de la paresse des voies ferrées entre deux passages de train (comme disait …), en un peu plus de trois heures, nous voici arrivés à Delémont, la plus grande commune jurassienne. Balade dans la vieille ville et visite du musée d’art et d’histoire, sous les cieux d’une météo déjà (ou encore) printanière.

Evènement rare, un chef d’oeuvre du IXe siècle est exposé au Musée jurassien d’art et d’histoire à Delémont, du 8 mars au 8 juin 2025. La Bible de Moutier-Grandval, habituellement conservée à la British Library de Londres, est visible sur réservation par tranches de 5 minutes! En effet, elle fait partie des « restricted items », objets à l’accès restreint. Vers 640, la fondation de l’Abbaye de Moutier-Grandval est considérée comme le début de la saga jurassienne. L’histoire de cette Bible, créée vers 830 dans le scriptorium de l’abbaye de Saint-Martin de Tours (Indre-et-Loire, France), est retracée dans un documentaire d’une trentaine de minutes réalisé par Romain Guélat. Voir le film: « le manuscrit voyageur ».

Didier Rittener, artiste dessinateur hors-pair, expose son nouvel Eden à la galerie la FARB-Fondation Anne et Robert Bloch. Des pommiers issus de 21 oeuvres anciennes (Dürer, Cranach, Rousseau,etc) évoquant le mythe du péché originel, revisités méticuleusement au crayon par l’artiste. Ici, il est possible d’acheter des copies de détails de l’oeuvre où chaque pomme dessinée vaut un franc !

Didier Rittener, Les Pommiers ou Indécente Forêt (Photo perso prise au musée d’Aarau)

Derrière le château de Delémont (XVIIIe), le parc offre un espace convivial, agrémenté de la roulotte L’Apéroule, une buvette sympathique achalandée de produits locaux et artisanaux.

Pour les gourmand.e.s, ne manquez pas l’hôtel restaurant La Bonne Auberge, où nous avons été chaleureusement accueillis, nourris et logés. Le chef y propose de savoureuses compositions culinaires citées dans le guide Gault et Millau, avec même quelques plats végétariens. Chambre spacieuse et décorée avec goût, petit déjeuner très frais et copieux.

Le lendemain, nous sommes sur les rails pour Porrentruy, avec une escale à Bassecourt où nous prenons le bus (ligne 51) pour Séprais. C’est ici que se trouve le départ d’une balade qui propose moult sculptures. Quatre itinéraires sont proposés, de trente minutes à quatre heures, sur des chemins ruraux de la belle campagne jurassienne .

Ce parcours s’enrichit de nouvelles sculptures au fil des années. Je l’ai trouvé particulièrement intéressant, autant pour le lieu d’exposition (j’adore la sculpture en pleine nature) que pour les oeuvres exposées dont certaines sont d’une exceptionnelle qualité plastique. La polonaise Wawrzusiak compose deux silhouettes monstrueuses dont les postures suggèrent une discussion houleuse. Le grand collisionneur de Diord et Ferretti est aussi drôle qu’évocateur. La terre ou le ciel? L’envol ancré de cet ange d’Indermaur est aussi philosophique que poétique. Une ammonite de pierres se fait aussi contemporaine qu’ancestrale. Les panneaux d’interdiction de Kalt, fraîchement repeints, se colorent de liberté. Rencontrer une oeuvre ancienne de Zaric, décédé en 2017, dotée d’un titre si poétique, est émouvant. En tout, pas moins de 96 sculptures jalonnent le parcours entier! En voici un échantillon:

Nous avons même croisé le chalet des amis de la Démocratie. Il est signé par la Fraction extrême centre. II est muni d’un périscope ainsi que de ténébreux bas-fonds!

Après la balade, bus et train jusqu’à Porrentruy où nous avons logé pour une nuit dans un hôtel bruntrutain (dérivé du nom latin de la ville: Bruntrutum) et mangé sur une terrasse.

Le lendemain, sur le chemin ferroviaire de notre retour, courte escale à Bienne. Nous avons manqué les Journées Photographiques de Bienne, mais pas la bibliothèque de Stefan Banz (1961-2021), léguée au Centre Pasquart. Près de 500 livres sur mon anartiste fétiche, Marcel Duchamp! J’y aurais bien passé la nuit…

Il y a aussi une petite exposition du peintre Louis Michel Eilshemius, que Duchamp (allez savoir pourquoi??) admirait beaucoup. Il lui a d’ailleurs organisé deux expositions à New York en 1920 et 1924.

Banz s’est en effet dédié pendant plusieurs années, avec sa compagne Caroline Bachmann, à un impressionnant travail autour de l’ultime oeuvre de Duchamp, Étant donnés : 1° la chute d’eau, 2° le gaz d’éclairage… (1946-1968). À l’origine de cet engouement, il y a une découverte : la chute d’eau reproduite en miniature dans l’oeuvre de Duchamp a pour modèle la chute d’eau du Forestay, située dans le  Lavaux, à quelques kilomètres seulement de Cully où le couple est installé. Cette découverte a amené le couple à faire des recherches inédites sur l’oeuvre. Celles- ci ont abouti en 2010 à l’organisation d’un colloque international à Cully qui sera suivi d’une importante publication. Ce travail sur la chute d’eau du Forestay a  incité Banz à s’intéresser à un autre aspect de l’oeuvre de Duchamp. Étant donnés se présente en effet comme une sorte de diorama auquel nous n’avons accès qu’à travers deux petits trous percés dans une vieille porte en bois. Banz a méticuleusement étudié ce que cette mise en scène doit au peintre newyorkais Louis  Michel Eilshemius (1864–1941) pour lequel Duchamp avait une grande admiration.

Vous ai-je déjà dit que je vois Duchamp partout?

Au dernier étage, nous avons découvert une installation de Denis Savary, aussi rétinienne qu’énigmatique. Figueras se présente comme une série de parasols fermés et dégageant un flux de lumières colorées sur une estrade, enserrée par un muret rétroéclairé et surmonté de ruines antiques miniatures, c’est Nashville (ville surnommée l’Athène du sud). La bestiole suspendue en l’air se nomme Charm. Elle est constituée de verre recyclé et on ne sait s’il faut y voir un objet technologique ou un insecte sorti de profondeurs marines. Savary ajoute une magnifique fontaine légèrement en retrait, laquelle est imprimée d’une chouette aux ailes déployées, oiseau de sagesse et de connaissance. C’est là que le sacré apparaît, surmontant l’eau (inconscient et vie) produite par la fontaine. Un arrangement étrange, un peu phallique, un peu bizarre, un peu mystique, dérangeant et subtil, d’une beauté sucrée, accompagné d’une vidéo, Le Must, qui ne nous apprend rien de plus. Enquête à faire? J’aime beaucoup.

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