Hayward gallery, London, du 11 février au 5 mai 2025

« Le monstre du photomontage le plus sacré de son époque« , titre de cette composition de Linder (2025), fait référence à l’oeuvre de Dali dans laquelle il a collé un portrait de l’enfant sur le corps d’un sphynx, « Shirley Temple, le monstre sacré le plus jeune du cinéma » (1939), dans le but de dénoncer la sexualisation des enfants stars par l’industrie cinématographique.

Salvador Dali – Shirley Temple, The Youngest Most Sacred Monster of the Cinema in Her Time (1939)
Le photomontage de Linder fait allusion au « deepfaking » d’images sexuellement explicites où des visages sont collés sur des corps en situations pornographiques. Linder a collé son propre visage sur un corps nu d’une page du magazine Payboy. Les ciseaux et la fourchette symbolisent sa critique des attitudes machistes.
Linda Mulvey, dite Linder (1954) est une artiste britannique connue pour ses collages dans les années 70, mélanges d’images de magazines poronographiques et presse féminine. Elle a cofondé le groupe Punk Ludus, où elle chante de 1978 à 1983.
Elle est aussi designeuse et performeuse. Elle met en avant son féminisme en disloquant l’image idéale de la beauté de la femme par le portrait de son aliénation.

Ce collage datant de 1977 montre sa démarche féministe, tendant à révéler les comportements acquis au nom d’un patriarcat intégré par les femmes. Utilisant l’humour, et même le grotesque, elle interroge les regardeur.euses sur les diktats auxquels iels se conforment.

La série ci-dessus (Pretty Girl, 1977) montre un modèle prenant des poses lascives, dont le visage est envahi, masqué, par des produits de consommation. De cette femme, on ne voit que le corps nu, ses expressions effacées, elle est déshumanisée. Ici, l’artiste dénonce non seulement l’obscénité de la pornographie, mais aussi celle de la publicité, ainsi que ce qui, à cette époque, préoccupe beaucoup de femmes: le confort apporté par les ustensiles ménagers.

Travaillant sur la dichotomie entre les centres d’intérêt des femmes (mode, ménage, romance) et ceux des hommes (voiture, bricolage, pornographie), elle réalise d’abord ses photomontages pour des pochettes de disques, des affiches, des fanzines. Linder détourne ce qu’il est convenu de nommer le « Glamour » (terme inventé par un pornographe fin des années 50) et révèle cette sorte de couverture qui est en fait une représentation misogyne de femmes passives face au regard masculin.

Linder s’intéresse aussi au porno gay avec des images d’objets publicitaires des années 70 replacés dans des situations symboliques d’actes sexuels queer. Elle en rapporte un travail artistique qui marque une liberté en marge de l’esthétique hétérosexuelle dominante. Les hommes gay sont érotisés, les hommes hétéro ne sont qu’en action.

L’intention de Linder est de refaçonner l’image idéale que les magazines montrent du corps des femmes. elle réfute les images normatives de « la » femme. Dans cette performance (fétichiste sploshing), elle n’hésite pas à s’enduire elle-même de peinture, elle se déforme et tente de déconstruire les genres en les fondant. Elle a même fait du body building pour modifier la forme de son corps.

Plaçant des fleurs, traditionnellement romantiques, sur les corps des modèles, elle les transforme en leur donnant de nouvelles significations.
« Je suis aussi intriguée par les représentations de la femme dans Playboy que je le suis quand je vois des femmes dans Elle. » Linder

Sans commentaire! Ou alors … s’approprier les formes du kitsch, d’un goût douteux, pour évoquer des stéréotypes communs. Un clin d’oeil sarcastique.



Les photomontages plus récents de Linder explorent les mythes et les contes de fées liés aux rôles des femmes. L’oeuvre « The Pool of Life » (2021) rassemble les motifs variés qu’elle a utilisés dans son travail: lèvres, fleurs, yeux, animaux. Elle décrit cette oeuvre comme étant une déclaration d’amour à sa ville natale, Liverpool, aux femmes et aux communautés queer qui ont façonné son univers et son langage visuel. Le titre fait référence au rêve de Carl Gustav Jung.
Au XIXe siècle on offrait un globe orné de souvenirs aux jeunes mariées. Symboles de féminité, beauté et amour protégés des effets du temps. Tels des objets issus de contes de fées, ces présentations séduisantes mettent en garde contre les dangers des traditions qui favorisent la domination masculine. Raiponce, Cendrillon et bien d’autres sont des contes qui influencent les normes de comportement et d’apparence des filles.
Les trois costumes créés par Linder, Richard Nicoll et Kenneth Tindall (the groom, the bride, the youth) furent portés en 2013 dans un ballet joué à Paris. (extraits et entretien avec Linder vidéo).
L’artiste Linder Sterling a présenté une nouvelle performance The Ultimate Form, une rencontre des univers de la danse, de la musique, de la mode, de l’art et de la sculpture à l’occasion du vernissage de l’exposition Linder Femme / objet.

Digne héritière des artistes dada John Heartfield et Hannah Höch, représentante de la scène post punk de Manchester, artiste engagée et polyvalente, Linder fut l’une des artistes pionnières issue de la deuxième vague du féminisme. Alors que la première vague se concentrait surtout sur le droit de vote et les droits fondamentaux, la deuxième vague se focalise davantage sur la sexualité, la place de la femme dans la famille mais aussi les violences sexistes et sexuelles ou le viol.






