Exposition à la Wallace Collection, Londres, du 26 mars au 28 octobre 2025
Je suis une grande fan de Sir Grayson Perry et de son travail. Vous le voyez ci-dessus habité par le personnage de Shirley Smith, fiction créée à l’occasion de cette exposition. C’est elle qui mène la visite. Le contraste entre les représentations de l’extrême féminité du rococo français du XVIIIe siècle et la masculinité manifeste des armes et des armures a suscité l’attention de l’artiste, très attiré par les oeuvres du passé et les actualisant dans sa propre version contemporaine. Après avoir exploré les oeuvres du musée, il n’a cependant pas été complétement séduit par la collection. Inspiré par Madge Gill et Aloïse Corbaz (cf. art brut), il crée alors le personnage de Shirley qui, elle, est entièrement admirative de cette forme d’art.

Shirley Smith est née du besoin d’authenticité de Grayson Perry, elle est comme son fantasme d’innocence pré-digitale. Il lui offre une biographie entre 1930 et 2013, laquelle précise que elle-même aurait choisi une autre identité, celle d’Honorable Millicent Wallace et serait l’héritière de la Wallace Collection (qu’elle visite très souvent). Elle y aurait aussi créé des oeuvres d’art.



L’une des première oeuvre réalisée s’intitule Man of Stories. Grayson Perry voulait une sculpture à la manière spontanée, et de style rococo comme ce qu’il retient des oeuvres exposée dans la collection Wallace. Il s’inspire donc d’objets créés à partir de coquillages et galets et réalise une « sculpture de jardin » représentant un ménestrel chantant des histoires. Il passe des heures à accrocher les badges. On y décèle son amour du détail et du savoir-faire. Ses influences sont diverses et cette sculpture compte une double influence: celle du ménestrel et celle des conteurs africains.




Les poteries de Grayson Perry sont toujours destinées à l’analyse. en forme de vases ou d’assiettes, elles expriment des revendications, des narrations ou des dénonciations. Il s’approprie les vases en porcelaine de sèvres du XVIIe avec ironie en commentant vertement les vignettes sentimentales qui y sont apposées (« des femmes obsédées, des bébés volants maladifs« ). Il explore aussi l’Intelligence Artificielle, lui imposant ses autoportraits dont il décore un vase intitulé Sexual Fantasies set in the Olden Days. Un autre vase raconte la rencontre de Shirley et Millicent avec Alan Measle (son ours en peluche, ami imaginaire) et Claire (le double féminin de Grayson). Le vase jaune, What a Wonderful World, est dédié aux gens riche qui trouvent le monde merveilleux et désirent que rien ne change. Sa Shirley a grandi dans la misère et Grayson lui aussi a connu la pauvreté. Il est maintenant un artiste reconnu très bien rémunéré, mais il a conservé un esprit d’économie et une certaine anxiété face au confort qu’apporte l’argent. Il a installé ce qu’il nomme un « digital native », un enfant jouant avec un Ipad, au sommet d’une jarre dont le décor est confectionné de couches superposées d’images générées par IA. Il considère sa série d’assiettes comme appartenant au temps du jeu lors de la création.






Reprenant les supports utilisés en d’autres temps, Grayson Perry/Shirley Smith, brode des tapisseries. Cette dame multicolore est en fait un mur de logos publicitaires puisque l’art dépend de généreux donateur.ices. La grande broderie sur coton intitulée I know who I am est le dessus de lit de Shirley Smith. Le tapis de laine montre le corps de Shirley tel un sanctuaire de la Wallace Collection. Il est gardé par un chat démoniaque, car environné des dangers d’un monde cruel, figuré par des armes et des crânes. La monumentale tapisserie reprenant les figures des dames du XVIIe, The Story of my Life, exhibe une idée de richesse et de beauté décorative, un monde où il serait possible de se projeter, un mélange d’oeuvres intégrées dans un paradis idéalisé.
La gravure est aussi un media utilisé par l’artiste (et son double). L’autoportrait de l’Honorable Millicent Wallace (woodblock print) la montre telle qu’elle se voit, son miroir d’une apaisante illusion. Magical Thinking (silkscreen print), au style influencé par le loubok russe (estampe populaire XVIIe), est une cartographie de la pensée magique de Shirley et des effets qu’elle voudrait imprimer au monde.



Fascist Swing est le titre de cette tapisserie de Shirley Smith dont on peut deviner l’inspiration de la peinture de Fragonard, La Balançoire (1768). Elle a fait disparaître les deux hommes de l’original et a utilisé des volutes de mousse donnant une impression psychédélique. Le mot « fascist » a été cousu plusieurs fois avant que l’image principale soit appliquée. Shirley Smith était fâchée contre le gouvernement! Pour Grayson, il y a quelque chose de prétentieux dans les bustes, ceux qui représente des personnages ayant fait de grandes choses. Il les trouve pompeux. Les deux bustes qui entourent la tapisserie ne le sont pas. Ils ressemblent à des ballons prêts à éclater lors d’une fête!




Sainte Millicent sur sa Bête est un écho aux multiples bronzes jalonnant le musée Wallace. Millicent est une version illusoire de Shirley, son double imaginé, elle devait avoir un air triomphant, car elle se disait héritière légitime de la Wallace Collection et partait à la conquête de ce droit. Grayson Perry a imaginé cette statuette à partir de Jeanne d’Arc, de la louve de Rome et d’acquamanile (récipient médiéval pour le lavage des mains). Il en a fait le symbole émotionnel de Shirley, ce qui lui permet d’ avancer.




Ce fusil est accompagné de deux armes, l’une européenne et l’autre indienne. Il y en a beaucoup exposée dans la collection Wallace. Grayson pense que Shirley a passé du temps à réfléchr à la signification de la violence. Cette oeuvre de Grayson/Shirley est un fusil à tirer sur le passé, destiné à assassiner les mauvaises expériences utilisable par toustes. Cette pièce est l’une des références binaires et genrées des objets exposés, entre les froufrous du satin, le mobilier raffiné et les instruments de mise à mort d’une grande beauté plastique. Ce fusil a une sombre teneur, amis il est aussi objet décoratif et ciselé avec minutie et art.

Cette Selection of drawings by Shirley Smith est une apologie de l’acte de dessiner. On y voit les fantasmes et les souvenirs de Shirley dessinés par Grayson, lequel a imaginé son mental touché par la maladie, une folie dissociative provoquée par les souffrances subies dans sa jeunesse. Ici, l’artiste dessine spontanément, dans la peau d’une autre, reconstruisant le personnage.



Cette commode, The Great Beauty (La Grande Bellezza), porte le titre du film de Paolo Sorrentino (2013). Une sorte de retable ouvert, dit-il, recouvert de miniatures féminines comme celles du musée. Ce sont les portraits des amies de Millicent, comme Shirley l’imaginait. Elle-même n’avait pas beaucoup d’amie du fait de sa santé mentale. Cette oeuvre est une célébration de l’amitié.


Grayson Perry raconte que la première oeuvre qu’il a vu de la Wallace fut le portrait de Madame de Pompadour par Boucher (1759). Dans le récit, lorsque Shirley fut internée dans un hôpital psychiatrique e l’Essex, elle compose cette imitation avec tout les matériaux qu’elle trouve, donc une oeuvre en lien avec les artistes d’art brut. Ci-dessous une partie du texte d’interview de Shirley Smith :
« Les infirmières étaient généralement bienveillantes. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à créer. Elles nous encourageaient à faire des choses. J’en étais arrivée à la conclusion que le palais où elles m’avaient trouvée était ma maison et que je voulais y retourner. J’y pensais tout le temps. J’appartenais à toutes les belles choses, je devrais vivre comme une princesse. Je trouvais cela très injuste et cela me mettait en colère. Personne ne me croyait. J’ai créé des œuvres d’art sur ma vie d’enfant jouant parmi les trésors. Cela m’a réconfortée. Après de nombreuses années à l’hôpital, peut-être dix, on m’a libérée et on m’a loué un appartement à Islington. J’ai découvert que le palais s’appelait Hertford House et je l’ai visité. C’était comme rentrer chez moi, alors j’y resterais autant que possible. J’ai écrit au responsable, Monsieur Bagot Watson, pour lui dire que j’étais en réalité l’honorable Millicent Wallace et que la maison m’appartenait de droit. Il est venu me trouver un jour et a écouté mon histoire. Il m’a dit qu’il verrait ce qu’il pouvait faire et que je pouvais venir quand je le voulais. On m’a laissée m’asseoir pour dessiner et coudre. Je n’étais jamais aussi heureuse que lorsque j’étais assise dans l’une des galeries, travaillant. » (écouter Grayson sur l’audio guide)
Pour terminer cette exposition, Grayson Perry incite à la création, quelle qu’elle soit et avec tout ce qui nous tombe sous la main. Pour lui, c’est un réconfort à toute épreuve :
Pourquoi j’aime le travail artistique, journalistique et philosophique de Grayson Perry? Parce qu’il est l’image que j’ai d’un homme déconstruit, qui accepte et même vit son côté féminin, son côté enfantin aussi, qu’il dénonce les abus et la masculinité toxique, qu’il envoie des messages artistiques forts pour les droits des minorités discriminées. Il a dissout la binarité imposée par une majorité de la société, il en donne l’exemple. Il a lui-même vécu des violences dans son enfance et provient d’un milieu ouvrier et pauvre: il sait de quoi il parle et il le fait avec humour. Son attrait précoce pour le travestisme ne l’a pas empêché de construire sa vie avec une compagne et de concevoir un enfant. Dans son essai « The Descent of man« , il questionne ce qui définit la masculinité et fait réfléchir aux bénéfices d’autres alternatives. Il incite à la création et partage ses idées progressistes en les vivant.

Le texte de cette chronique est issu des renseignements glânés dans le catalogue, les cartels de l’exposition et l’audio guide consultable aussi en français.
Cinq articles de ce blog évoquent l’oeuvre et l’humain Grayson Perry dans différentes expositions. Click and collect!












Rafraichissant et perturbant – je vais devoir interroger ma masculinité. Merci pour ce voyage !
J’aimeAimé par 1 personne
Tu n’es pas seul, rassure-toi 😂
J’aimeAimé par 1 personne