
Théâtre de Vidy, Lausanne, du 27 au 29 mars 2025
Mise en scène: Marion Siéfert, texte: Marion Siéfert, Matthieu Bareyre
Avec Émilie Cazenave, Lou Chrétien-Février, Jennifer Gold, Lila Houel, Lorenzo Lefebvre, Charles-Henri Wolff
JULIEN: ça te plaît? MARA: Oui! C’est incroyable. C’est un rêve en fait. C’est réel? C’est comme si c’était pas réel. Enfin, je sais que c’est pas réel, mais tout fait tellement vrai. JULIEN: Fais en sorte que que cette vie devienne plus réelle que l’autre.
Comment une jeune fille de treize ans s’embarque dans un jeu qui embrouille réalité et fiction. L’habileté de ce spectacle est d’emmener la victime dans le monde réel en le faisant ressembler à un jeu virtuel. Julien est un manipulateur de 27 ans. Il a harponné Mara (Lila Houel)au travers d’un jeu vidéo auquel iels jouent tous deux sous pseudonymes. La pièce débute joyeusement avec des scènes de ce jeu attractif sur écran. Se référant au rêve de Mara de devenir actrice, il va la contacter en appel vidéo et lui proposer de participer à un nouveau jeu intitulé Daddy où les spectateurs paient pour des prestations réelles (Cela existe vraiment! voir sugar daddy/sugar baby). Derrière lui, des gratte-ciel. Derrière elle, des peluches.
Nous faisons connaissance alors avec la famille de Mara: son père, sa mère, ses deux soeurs et un ami de passage. Autour de la table, leurs discussions nous montrent des personnes de condition ouvrière et de moyens limités, attentifs à leurs enfants quoique très occupés par leurs professions respectives.
Mara se laisse embarquer par les compliments et le discours pressant de Julien. Elle se retrouve dans le jeu, telle un personnage virtuel comme elle en voit en jeux vidéo.

Dans un paysage lunaire de monticules neigeux, elle rencontre une habilleuse, Molly, ancienne participante reléguée à un rôle secondaire, Léna, une fille de classe bourgeoise, Jessica, la star sexy du jeu et Bob, le big daddy millionnaire créateur du jeu.



Des scènes sont jouées: une danse magnifique de Jessica, puis une scène de vampires sur canapé en costumes XVIIIe, où la domination masculine se déploie. Mara se demande qui l’a faite vampire. On lui répond qu’elle ne vieillira jamais, ce qu’elle traduit par: je ne grandirai jamais. Ses parents débarquent alors dans le jeu, essayant de la dissuader d’y participer, mais elle refuse et finit par les tuer. Finalement, en tant que symbole, cela revient à l’objectif de toute adolescence: se débarrasser des parents pour intégrer une autonomie chancelante.
Léna, elle, dans un épisode effronté, sort de scène et s’adresse au public avec une question sexuelle audacieuse et assez gênante… Avec superbe, aplomb et humour, elle entre dans les rangs pour obtenir une réponse… qu’elle arrachera à un spectateur!
Quant à Mara, son expérience se termine dans la violence, non sans qu’elle recueille le témoignage de Jessica, qui elle aussi, malgré son assurance et son talent, a subi des épisodes douloureux. Mara semble pourtant avoir trouvé en elle une puissance, une révolte qui lui permettra de trouver une issue de secours.
Un spectacle riche de ses interprètes, de son discours pédagogique, de ses costumes et de ses idées de mises en scène. La scénographie neigeuse renvoie peut-être au côté froid du contexte et permet quelques procédés touchants. Percutant et réflexif, sa forme théâtrale assez classique et divertissante permet d’être vue par un public touché par cet aspect des réseaux sociaux. Prévention bienvenue pour tout public intensément plongé dans un virtuel rejoint par d’amères réalités .


