Dans le cas de La Guerre des pauvres, j’avais envie de travailler à partir d’un texte. Depuis un moment, je suivais l’actualité d’Éric Vuillard, dont j’aime l’écriture. Je suis tombée sur ce court roman, qui avait en le lisant une dimension presque cinématographique. Il évoque le soulèvement, la résistance, on était en plein mouvement des gilets jaunes. Cela avait du sens de l’adapter au plateau, d’autant qu’en parallèle, je venais de voir au Jeu de Paume, une exposition sur les soulèvements en tout genre qui avait entièrement été imaginée par le philosophe et historien de l’art Georges Didi-Huberman. Toute cette matière textuelle et photographique a irrigué mon travail chorégraphique. Olivia Granville (L’oeil d’Olivier, 10.10.24)
Je me demandais ce qui avait pu inciter la mise en scène ce spectacle, dont le récit débute au XVIe siècle. C’était omettre que les insurrections se suivent même si elles ne prennent pas la même allure. Ce spectacle fut créée en 2021, suite au Mouvement des Gilets jaunes. Les danses nerveuses de Samuel Lefeuvre et Éric Windmi Nebie, les sons vitupérants sur lesquels la voix de Laurent Poitrenaux doit se superposer, l’architecture scénique faite de piquets à leds et de fanions blancs agités, tout ce décorum parait étrange et légèrement agaçant. On comprend sa pertinence au cours du spectacle.
Voici les racines des soulèvements populaires, le cri des peuples indignés par les injustices et la dureté de vies sans lesquelles le pain (réel et symbolique) viendrait à manquer. Dès le XIVe, les meneurs se succèdent en Angleterre pour l’abolition du servage et la levée des taxes. Les princes et monarques promettent, mais en vain, et les massacres des populations s’ensuivent inexorablement.
La lecture de la bible, imprimée dès le milieu du XVe siècle, se popularise. Le prédicateur allemand dissident Thomas Müntzer (1490-1525), s’appuyant sur les évangiles, emmène les pauvres dans une bataille déséquilibrée, qui se termine elle aussi par un massacre.
Ce travail de mémoire politique et historique, ce texte, amené par la lecture sensible de Laurent Poitrenaux, rappelle les luttes de classes séculaires pour une plus juste répartition des richesses. L’omniprésence du pain est symbolique de leur importance. Le choix cosmopolite des danseurs, Burkina Faso et Argentine, évoque la mondialisation. Comment ne pas voir en écho les luttes actuelles dans un monde contemporain où plus de 80 % des richesses sont concentrées entre les mains de 1 % des plus fortunés!?
Le livre court d’Eric Vuillard, m’évoque celui, tout aussi bref, d’un autre penseur et écrivain, Elisée Reclus (1830-1905) géographe, théoricien et militant anarchiste, précurseur en de nombreux domaines.
Elisée Reclus, « A mon frère le paysan », 1899 (inclure le monde paysan dans le projet révolutionnaire)