« Absalon! Absalon! » Séverine Chavrier

Comédie de Genève du 18 au 29 janvier 2025.

Avec Pierre Artières-Glissant, Daphné Biiga Nwanak, Jérôme de Falloise, Adèle Joulin, Alban Guyon, Jimy Lapert en alternance avec Deborah Rouach, Armel Malonga, Christèle Tual, Hendrickx Ntela, Ordinateur, Laurent Papot et la participation de Maric Barbereau en alternance avec Remo Longo.

La monumentale scénographie est à la hauteur du monument littéraire et de William Faulkner, grandiose écrivain américain de culture sudiste. Le roman « Absalon, Absalon! » (remarquez la différence de ponctuation), publié en 1936, raconte l’accession à la richesse puis la déchéance de Thomas Sutpen. Partant d’une humiliation de jeunesse, celui-ci décide que sa vie sera consacrée à bâtir une dynastie à son nom. Se déroulant durant la guerre de Sécession, c’est aussi toute l’histoire d’un pays qui sous-tend le roman. Quentin Compson, petit-fils du seul ami de Sutpen, obsédé par cette famille dysfonctionnelle, régie par un patriarche violent, raciste et misogyne, veut percer leur mystère. Il s’entretient donc avec des témoins, puis raconte l’histoire à son ami Shreve. Mensonges, trahisons, meurtre, inceste, fratricide, viol sont les ingrédients inhérents de cette saga aux allures mythologiques.

(c) Christophe Raynaud-de-Lage

L’écrivain a composé une narration non linéaire. La pièce reprend ce modèle, ce qui induit quelques difficultés de compréhension. Passé et présent s’infiltrent dans  un récit fractionné qui le rend passionnant car il rend le public acteur pour démêler l’écheveau familial et ses différents noeuds (identité, classes sociales, « race »). Plusieurs narrateurices, plusieurs récits, plusieurs mémoires. Souvenirs déformés ou reconstruits au fil du temps. Où est la vérité?

La pièce présente trois chapitres entrecoupés de deux entractes. Le tout se déroule durant environ cinq heures palpitantes. Avec pour moi un léger bémol lors du dernier chapitre, dû à un chant répétitif un peu long. A savoir aussi que certains faits sont dévoilés avant d’être joués.

(c) Christophe Raynaud-de-Lage

La scène est recouverte de terre. Elle sera à plusieurs reprises filmée par en-dessus au téléobjectif, lui donnant un aspect de paysage vu du ciel. La maison Sutpen’s Hundred est elle-même un personnage. Elle est présente sur scène en format maison de poupée, mais aussi en taille « originale ». On assiste à son élévation (structure de tissu), puis on visite ses pièces au cours du spectacle puisque le bâtiment n’a pas de quatrième mur, sauf à l’étage qui est bouché par un grand écran. L’arrière de l’édifice, des échafaudages, sera lui aussi par moment visible et utilisé. Sous la scène, un atelier surmonté d’une grille montre des ouvriers au travail.

(c) Christophe Raynaud-de-Lage

Le procédé de filmage reste invisible tout au long de la pièce: pas de caméra visible. Les acteurices sont filmés en gros plans dans les véhicules (un pick up et une voiture) ou dans et devant la maison. On nous montre la réalité dans le plan global de la scène de théâtre et simultanément leur image cadrée en gros plan ou plan rapproché, à choix. Les images filmées ne se réduisent d’ailleurs pas aux visages, mais aussi aux parties de corps ou aux objets. Deux fois la scène sera jonchée de canettes de coca, puis de poupons.

(c) Christophe Raynaud-de-Lage

Les comédien.ne.s sont évidemment formidables. J’ai admiré ce personnage blond aux cheveux court (Jimy Lapert?) qui joue formidablement, mais je ne sais toujours pas qui iel interprète. Peut-être la jeunesse…? Thomas Sutpen, ogre grognant et éructant sa rage perpétuelle, est détestable à souhait. Il interprète aussi Quentin, l’étudiant qui interroge la tante Rosa, magnifique dans ses embarras. Musique, chant chorégraphie, enveloppent cet enfer sudiste lui insufflant davantage de contemporanéité.

(c) Christophe Raynaud-de-Lage

Parce que, oui, des pans de cette histoire résonnent encore aujourd’hui. Le racisme associé au masculinisme, le pouvoir économique édicté en suprématie, l’inceste et le viol que les sociétés commencent tout juste à entrevoir. L’esclavage et le génocide autochtone perdurent dans les archétypes états-uniens: pour le meilleur, et aussi pour le pire. C’est pourquoi ne vous privez pas de cette fresque brillamment animée par Séverine Chavrier.

Du 27 mars au 11 avril 2025 Paris Odéon Théâtre de l’Europe, et aussi Luxembourg, Liège, Orléans.

J’ai l’impression qu’avec Absalon! Absalon!, on crée un monde très imaginaire, mais que, par fragmentation, par éclats, on reconnaît le nôtre. Séverine Chavrier

Le style de William Faulkner n’est pas celui que l’on peut lire chez d’autres écrivains américains, adeptes des phrases courtes. Tentez Sanctuaire ou Tandis que j’agonise, et si cela vous plaît attaquez Le Bruit et la Fureur ou cet Absalon, Absalon!, aussi empoignant qu’une tragédie grecque sans les alexandrins. Les grand.e.s écrivain.e.s sont intemporel.le.s!

American novelist William Faulkner (1897-1962) works at his Underwood typewriter in his study at his Rowan Oaks home near Oxford, Miss., in Nov. 1950. (AP Photo)

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