Exposition au Kunstmuseum de Bâle, du 28.09 2024 au 2.02 2025
Vue d’ensemble par thématiques de l’oeuvre de Paula Rego en neuf salles dans le Neubau du Kunstmuseum de Bâle.
Paula Rego est née à Lisbonne le 26 janvier 1935, fille unique d’une famille aisée et cultivée. L’exposition présente une partie du travail de cette artiste engagée, peignant la domination des femmes avec rage et provocation, ne reculant pas devant le grotesque pour appuyer son propos et dont les images ont une immense qualité narrative.

La première salle présente quelques autoportraits entre 1954 et 2017. Les trois plus récents (2017) montre un visage à la Bacon, difforme et bouche grande ouverte. Et pour cause, suite à une chute, elle décide de rendre compte du « récit » qu’offre ce visage marqué d’hématomes.
L’autoportrait de 2004 reflète la complicité et l’amitié vécue par l’artiste avec Lila, une femme s’occupant de son mari malade, Victor Willing, rencontré lors de ses études en Grande-Bretagne (Slade School of Fine Art).
« We talked about painters and paintings all the time… Some men are jealous of their wives’ work but he never was – he had no reason to be. »
Il est diagnostiqué d’une sclérose en plaque en 1968.

La somptueuse toile ci-dessous la représente dans une posture pleine d’assurance et libre, fumant la pipe jambes écartées, entourée de modèles. Femme émancipée, peintre affirmée, elle a bénéficié d’un programme de résidence d’artiste de la National Gallery de Londres. A remarquer, la mante religieuse au fond à droite ainsi que la disproportion des personnages.

Presque rageur, cet autoportrait définitivement inachevé au pastel date de 1994. A partir de cette date, elle utilisera principalement cette technique dans la plus grande partie de son travail. L’importance est donnée au visage, au regard intense et à la main tenant le pinceau. Un autoportrait en allégorie de la peinture et du dessin, front illuminé, profondeur du regard. En plein processus créatif, le reste du corps n’a plus d’importance

Cet autoportrait en rouge est en fait un collage. Elle s’y représente au centre, silhouette grise ou en petite fille, entourée de souvenirs d’enfance. Une composition atypique dans l’oeuvre, quasiment surréaliste.

En salle 2, un tableau très connu intitulé The Family, montre deux personnages féminins habillant ou déshabillant un homme.

Une certaine brusquerie se dégage de ce tableau, ou une inquiétude. Le mari de Paula vit sa dernière année, il est extrêmement diminué. Au fond, dans le petit théâtre, Saint George occit le dragon sous le regard d’une femme, tandis que la fille devant la fenêtre joint ses mains. Que prie-t-elle? Qu’espère-t-elle? La gravure sur le buffet représente la cigogne de la fable qui surplombe un renard.

Cette année 1988 est l’année de la mort du mari malade de Paula Rego. La famille demeure à Londres depuis 1974, fin de la dictature au Portugal.

Après la mort de son mari, elle peint cette danse dont le modèle masculin est son fils Nick. Deux couples, trois âges de la femme, une femme solitaire.

Salle 3, Pouvoir d’Etat: Au Portugal, durant le régime de Salazar, l’armée et la police politique surveillent le pays, dès les années 30, en ayant notamment recours à des indicateurs, les bufos, fondus dans la population. De 1961 à 1974, ont lieu les guerres coloniales portugaises. Paula Rego comprend très vite l’intime rapport entre violence et pouvoir.

Paula Rego a quinze ans lorsqu’elle exécute cette toile. Sous la dictature autoritaire de Salazar, toute forme de liberté individuelle et d’opposition sont bannies, entraînant les violences, ici psychologiques. L’année suivante, ses parents envoient Paula étudier en Grande Bretagne.

L’Espagne et le Portugal, sous dictatures, sont ci-dessus représentés tête en bas. Et le soleil est au raz du sol… Toujours de belles compositions, même sens dessus dessous.

Cette oeuvre fait froid dans le dos. Cet « interrogateur » narquois semble avoir tout juste terminé son affreux boulot ou se réjouit-il de le commencer? Une femme s’habille ou se dévêt. Un agneau est attaché par un ceinturon. Les bottes noires et les gants rouges sont des attributs violents, comme la fourche posée en travers des cuisses du militaire. On ne veut pas savoir ce que contiennent ce qui ressemble à des sacs poubelles vert clinique. Que signifient alors ces quelques fleurs? Des oeillets de 1974?

La bataille (1558) figurée ici avec des moyens textiles, technique considérée comme féminine, pourrait être pour l’artiste un moyen de se distancier de la guerre dominée par des hommes. Elle y figure l’armée portugaise écrasée par les troupes marocaines.
La lutte des sexes est la thématique de la salle 4. Symboliquement, l’artiste a souvent utilisé la figure du chien pour évoquer la domination, la soumission ou l’obéissance. En lien avec l’état de dépendance de son mari.
Les relations de pouvoir sont au coeur de son travail. Ci-dessous, une femme agenouillée semble en position subalterne? Vêtue de rouge, d’une stature imposante, elle dirige pourtant l’opération avec fermeté… et le coq est minuscule…

Pour la Mariée, Paula Rego s’enflamme et mélange dessin au trait et peinture, couleurs vives et réserves, animaux et humaines, cartoons et orientalisme.


Il semble que ce motif du singe rouge provienne d’un petit théâtre appartenant à Victor Willing, le mari de Paula. Ici, les saynètes parlent de queue coupée et de violence domestique.
Les Héroïnes sont le thème de la salle 5. Les poupées de tissus marquent sa fascination pour les figures des contes de fée. L’oeuvre intitulée Oratorio, une armoire de bois intégrant des figures en costumes et huit cadres peints, est en lien avec le premier foyer pour enfants abandonnés de Grande-Bretagne. Une sorte d’autel de femmes, simultanément martyres et bourreaux.
Les poupées figurant des personnages de contes sont réinterprétées et démystifiées.
Paula Rego suit une psychanalyse durant 40 années. Elle est fascinée par la théorie des archétypes et de l’inconscient collectif de Carl Gustav Jung. Elle réinterprète les femmes dans les contes et décrit des Héroïnes beaucoup plus complexes. Leur aspect exprime certains côtés obscurs inaccessibles dans les représentations ordinaires.

Brancaflor est un conte portugais, une histoire de défis à relever dans le but d’obtenir la main de la fille du roi, celle-ci étant un peu sorcière. Peut-être la version remaniée de Floire et Blancheflor, conte médiéval. L’intérêt de Paula Rego se focalise sur des personnages intégrant le bien comme le mal. Brancaflor, fille du diable, aide le personnage masculin à accomplir les tâches imposées par son père le roi.
Salle 6: Jeux de rôle, ce sont les histoires entendues dans l’enfance qui nous confortent dans des représentations et des stéréotypes de genre. The blue fairy whispers to Pinocchio montre une fée intrusive et sévère et un enfant de dos plutôtcrispé. Ron Mueck (ICI et ICI), sculpteur hyperréaliste et gendre de Paula Rego, l’a réalisé en fibre de verre et donc a imaginé son expression butée.


Paula Rego découvre les dessins animé au cinéma à Lisbonne. Voici son interprétation des autruches dans la « Danse des Heures » tirée du film Fantasia.

Elle peint ici une forme d’oppression, allégorie de celle des danseuses de ballet, tenues de suivre les postures artificielles de la danse classique. Son modèle et alter ego est loin des corps élancés et fragiles habituels, son physique est vigoureux et puissant, telle une femme mûre qui a appris à faire face.

La Traviata, Aïda et Rigoletto, trois opéras de Verdi que Paula découvre grâce à son père. Elle les traite comme autant de bandes dessinées, utilisant le dessin aux contours noirs, les postures théâtrales et l’animalité.
La Salle 7, sous l’intitulé Inconscient, plusieurs récits: l’impressionnante Métamorphose d’après Kafka ne montre qu’un homme maigre, nu et diminué, immobilisé sur le dos. Une position qui suffit à rendre la composante psychologique de sa situation.

« The Pillowman » (de Martin McDonagh) est une pièce de théâtre dramatique à laquelle Paula Rego assiste en 2003. Une histoire violente où le protagoniste voit ses histoires terrifiantes se réaliser. L’artiste est-il responsable des impacts de son oeuvre sur la société?

Paula Rego creuse l’inconscient et les vies psychiques à travers le roman de Charlotte Brontë, Jane Eyre, ainsi que l’histoire de Peter Pan de James Barrie (du nom du syndrome), le garçon qui ne veut pas grandir et qui a perdu son ombre: l’imagination illimitée face à une réalité restreinte.
Rebellion, en salle 8, évoque des thématiques politiques et sociales. L’artiste peint pour dénoncer: les mutilations génitales féminines, les conséquences des avortements illégaux, la guerre en Irak. Après avoir été rejetée à la fin des années 90, la loi portugaise est acceptée en 2007. Elle est pourtant comme ailleurs toujours fragilisée par des mouvements de droite extrême.


La série de gravures ci-dessous a été réalisée par Paula Rego pour une large diffusion et ont été présentées simultanément dans plusieurs expositions.
Les femmes décrites par l’art de Paula Rego sont déterminées et non résignées ou victimes. Elles n’en sont pas moins en souffrance et dans un total isolement. Ses pastels dénoncent également les mutilations génitales.
Cette toile exprime la révolte de Paula rego contre la guerre en Irak. Ne pouvant se résoudre à peindre des humains souffrants, elle les masque avec des têtes de lapins. D’après une photographie montrant des familles en fuite après un bombardement.

La salle 9 termine le parcours avec pour titre Esprit combatif. Une série de pastels de 1509×100 cm intitulée Possession I à VII montre une femme allongée, tentant de se redresser ou incapable de trouver le repos. Une lutte intense et solitaire sur un canapé acheté au psychanalyste de Rego. La dernière ne montre-t-elle pas un espoir de renouveau?


Voici pour terminer l’oeuvre que Paula Rego aurait voulu emporter avec elle: Angel. Ce n’est pas un autoportrait. Une femme brandit une épée dans une main et de l’autre serre une éponge. Une oeuvre symbolique qui exprime les deux faces de l’humanité: la violence et le soin, l’attaque et la protection, la dureté et la douceur, la vengeance et le pardon. L’aplomb de sa posture et le visage déterminé mais serein de cette femme affiche l’esprit dans lequel Paula Rego a bâti son art. « Je suis prête à pardonner et à me défendre ».

« Dans les années 1950, le consensus était que les femmes ne pouvaient pas être des artistes – le landau dans le couloir et tout ça« déclare Paula Rego. « Les femmes étaient là pour être des partenaires et des supporters pour leur mari artiste. Je ne voulais pas cela. Je voulais être dans le club des grands garçons, avec les grands peintres que j’admirais. Tout comme j’avais voulu être Robin des Bois et non Marianne. En fait, j’avais une tenue de Robin Hood. J’ai eu des enfants et je les aime et tout ça. Heureusement, j’ai eu des gens sympas pour m’occuper d’eux.«

Superbe expo’ – j’adore la salle 6 !
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