« La Tempête-ou la voix du vent » William Shakespeare / Omar Porras

Au Théâtre Kléber-Méleau du 24.09 au 13.10 2024

Sur le plateau, un assemblage de voiles bleutées par l’éclairage laisse présager d’une esthétique baroque qu’une joyeuse bande de marins musiciens investit allégrement s’adressant au public en prologue. Commence alors la Tempête au propre comme au figuré.

©Lauren Pasche(Prospero et Miranda)

Le naufrage du voilier, magnifiquement scénographié, rejette ses passagers sur une île. Il s’agit de l’usurpateur du trône de Milan, Antonio, du roi de Naples Alonso et de son fils Ferdinand. Il se trouve que cette île est celle-là même où ont échoué Prospero, le roi de Milan destitué, et sa fille Miranda. Iels sont là depuis déjà douze années, ayant asservi les autochtones : Caliban, sauvage et difforme, et la sorcière sa mère, morte depuis. Prospero délivre les esprits que cette dernière avait emprisonné, ceci pour mieux les asservir.

Les jeux de pouvoir sont au centre de la pièce. La trame décrit un colonialisme revendiqué. L’un des esprits, doté de pouvoirs magiques, se nomme Ariel et devient le serviteur zélé de Prospero, mais dans l’espoir qu’il lui redonne sa liberté. Caliban est un indigène et la pièce, datant de 1610, formule la crainte du peuple envers la différence, l’étranger, vu comme un « sauvage ». Miranda, le seul personnage féminin (et non masqué) de la pièce, est l’objet (!) de convoitise vers lequel se porte les regards masculins. Katie Mitchell, metteuse en scène britannique (une pièce vue à Vidy), se chargera de la rendre plus vivante et actuelle dans l’opéra éponyme inspiré de Purcell.

©Lauren Pasche (Caliban et les esprits)

Ce spectacle décrit un univers aussi magique qu’onirique et son atout majeur est une scénographie magnifiée par son éclairage, ainsi que les masques et costumes qui distinguent les personnages. Les esprits évoquent le « Sans visage » de Miyazaki, entité ayant perdu la conscience de soi. Les demi-masques des personnages, laissant libres le bas du visage, étonnent par leur expressivité. On pourrait croire que la mobilité du regard et en particulier des sourcils sont cruciaux, pour s’apercevoir que ces physionomies, à priori figées, évoluent avec la lumière et les mouvements des mâchoires. Le travail de conception de Véronique Soulier-Nguyen et Carole Allemand est phénoménal.

Ariel, tout comme Puck dans le Songe d’une nuit d’été, est l’esprit joueur de la pièce. Il apporte humour et fraîcheur avec ses petits cris et son comportement facétieux et enfantin. Parce qu’il est resté loyal envers son maître, il sera libéré…

Cette pièce testamentaire de Shakespeare ne me semble pas la plus jubilatoire. Je goûte habituellement peu au théâtre masqué, cependant la beauté plastique de la pièce, l’occupation composite du plateau, les costumes et l’éclairage ont évacué ces préjugés.

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