Francis De Smedt, dit Francis Alÿs, est né à Anvers dans la région flamande de la Belgique. Il étudie l’architecture en Belgique et à Venise. En 1986, il est mandaté par le gouvernement belge en tant qu’ingénieur à Mexico pour un programme d’aide suite à un tremblement de terre. Trois ans plus tard, il se consacre à l’art de la performance.
Francis Alÿs représentera la Belgique à la Biennale de Venise 2022, du 23.04 au 27.11.
Son travail est souvent basé sur la déambulation dans la ville. Marcher, avec une idée pour prétexte. Idée le plus souvent politique dans le sens « organisation de la cité et observation de la société qui la vit ». Idée matériellement teintée d’absurde, de jeu ou d’humour, activée dans un environnement ou un contexte humainement lourd.

L’exposition monographique que lui consacre le Musée Cantonal des Beaux Arts de Lausanne se déploie sur deux étages et survole son travail vidéo concernant la marche.
Le premier étage est consacré à des vidéos, peintures et oeuvres sur papiers sur l’Afghanistan, un pays où il a séjourné plusieurs fois entre 2010 et 2014.
De très petits formats, crayons de couleur ou aquarelle, collages ou dessins qui paraissent comme définitivement inachevés, pages de carnets de croquis ou encore journal de bord. Les petites peintures sont souvent partiellement occultées par des barres de couleur. Comme des pauses dans une réalité impossible à représenter. Par exemple (projet afghan):
On y découvre quelques-unes de ses vidéos de la série Children’s Games, tout un travail sur les jeux d’enfants qui, vu d’ici, induisent un sens documentaire à des images poétiques. Des rituels d’enfants régionaux qui nous sont familiers et quasi universels (cerf-volant, loup et agneau, etc.).

Francis Alÿs est confronté là-bas à la difficulté de représenter l’environnement de Kaboul qui n’a rien de séduisant. Pourtant les enfants (des garçons bien sûr…) jouent joyeusement à pousser des pneus de vélo avec un bâton. Il en conçoit le film Reel-Unreel (2011) montrant un enfant qui fait rouler une bobine de film rouge et donc en même temps déroule la pellicule qu’elle contient, suivi d’un autre enfant qui la rembobine sur une bleue. Et cela en courant dans les rues poussiéreuses de Kaboul que nous, public du film, visitons à hauteur d’enfant et de sol. La vidéo est sonorisée et nous sommes plongés dans le vacarme des marchés, des cris d’enfants, des moteurs pétaradant et de ces bobines crissantes. En 2001, les talibans ont brûlé des milliers de bobines de films d’archives afghanes.
Regarder ICI Reel-Unreel , 2011, vidéo couleur avec son, 19’32 », Kaboul, Afghanistan. En collaboration avec Julien Devaux et Ajmal Maiwandi.

La grande salle du 2e étage présente pas moins de 18 pièces vidéo. Leurs sons se mélangent donnant l’impression de nous déplacer parmi une foule, dans le vacarme de la cité. L’artiste y développe ses actions déambulatoires et allégoriques depuis 1986 dans différentes grandes villes. Dont voici quelques exemples:
Looking up, 2001 filme l’artiste immobile scrutant le ciel au centre d’une place. Un évènement minimaliste qui rassemble progressivement une foule (Mexico).
Paradox of Praxis, 1997 où Francis Alÿs pousse durant neuf heures un bloc de glace jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien (Mexico). A l’image de l’Amérique Latine, un travail fourni considérable pour un résultat dérisoire.
The Green Line, 2004 , le parcours qui délimite la frontière de 1949 entre Israël et les Etats Arabes. Alÿs l’arpente un pot de peinture verte percé à la main, recréant au milieu des passants cette limite déplacée en 1967 lors de la Guerre des Six jours (Jérusalem). « Sometimes Doing Something Poetic Can Become Political, And Sometimes Doing Something Political Can Be Poetic »
Perro Durmiendo, 1999-2006, les images de chiens errants dormant dans les rues de Mexico. Les figures de résistance à une urbanisation qui exclut les animaux sauvages.
Railings, 2004, une promenade de l’artiste à travers Londres au son d’une baguette glissant le long des grilles de la ville, accompagnée des rumeurs spécifiques à cette cité.
Re-enactments, 2000. L’artiste marche d’un pas décidé dans Mexico un pistolet au poing, il n’est arrêté par la police que tardivement.
Duett, 1999, une vidéo que se partagent Francis Al!ys et l’artiste Honoré d’O. Arrivés séparément à Venise, ils parcourent la ville au hasard jusqu’à ce qu’ils se rencontrent et réassemble les deux parties d’un tuba (trois jours).
Children Games #10 Papalote, 2011, observe un enfant très sérieux occupé à faire voler un cerf-volant, un jeu interdit par les Talibans à Kaboul.
La plupart de ces videos sont visibles sur le site officiel de Francis Alÿs, ICI.
Francis Alÿs, utilisant de modestes matériaux, crée un itinéraire qui parait de prime abord anodin, ludique, voire absurde. Il brosse en fait un tableau, une fable, un chant, qui raconte des atmosphères, des êtres et des lieux. Il capture les vues documentées d’un quotidien aussi banal qu’insolite et permet de voir l’essence et la singularité du lieu. Les images des jeux d’enfants, par exemple, nous offrent l’exemple d’univers qui installent une solidarité immédiate, avec ses codes sociétaux miniatures. Pourquoi perdons-nous cet instinct du jeu et du « faire semblant », cette attention que rien ne peut détourner du moment présent?

Le 23 juin 2002, Francis Alÿs organise une « Modern Procession » à New York. Entre musée et rituel, cette marche entre le MoMA de Manhattan et celui du Queens réunit environ 150 personnes et les passants qui s’y joignent. Entre trois oeuvres majeures du XXe siècle, Kiki Smith trône sur un palanquin. Les oeuvres (des reproductions) sont la Roue de bicyclette de Marcel Duchamp, dont le MoMA ne possède lui-même qu’une réplique de 1951 (l’original datant de 1913) ; la Femme debout d’Alberto Giacometti (1949) sculpture « immobile » et non en marche, conservant l’influence des figures de procession égyptiennes que Giacometti affectionnait ; enfin les Demoiselles d’Avignon de Picasso (1906-1907) et leur célèbre visage inspiré de masques africains Fang qui fascinaient tant le maître cubiste. Lire ICI le décryptage de cet évènement.
Merci pour la découverte de cet artiste. Son travail est particulièrement intéressant, sa façon de voir des choses/actes simples (comme les enfants qui jouent dans un pays en guerre) et de nous faire comprendre la profondeur de ce sujet.
J’aime aussi La ligne Verte entre deux pays en guerre pour souligner l’effroyable vie des habitants…
Je vais aller voir plus précisément toute son oeuvre.
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Découvert avec cet exposition, j’aime énormément la démarche (C’est le cas de dire) de cet artiste. A suivre donc…
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