Du 23 au 31 octobre 2020, théâtre de Vidy hors les murs-Palais de Beaulieu

Au seuil de l’immensité de l’une des halles du Palais de Beaulieu, c’est par le son que commence notre immersion. Impacts, fracas, sirène, grincements accueillent les visiteurs désinfectés et coiffés d’une charlotte. Une grue, des échafaudages, du matériel de construction, un baraquement central, des plate-formes métalliques ainsi que de grands écrans constituent le décor réaliste d’un chantier en activité. Nous sommes divisés en huit groupes et dirigés vers le premier des huit postes animés chacun par un.e expert.e. : un avocat du droit de la construction, un ouvrier, un urbaniste, un entrepreneur, un spécialiste des insectes bâtisseurs, une conseillère en investissements, une travailleuse chinoise et un représentant d’un organisme anti-corruption. Coiffés de casques audio, isolés phoniquement du brouhaha du chantier, nous pouvons être attentifs à leur discours.
Les participant.e.s évoluant à vue, une véritable chorégraphie dont nous sommes les éléments se déroule alors autour de nous. Millimétrée, chronométrée, à notre insu, la mise en scène est ajustée sur notre périple. Au cours des huit escales dans ce monde du bâtiment, chaque présence, action, déplacement se répercute sur l’ensemble de la structure théâtrale, en même temps qu’il propose une métaphore de la réalité sociétale et économique.
En outre, les experts rencontrés ne se contentent pas de théoriser. Les exemples qui sont cités sont des cas concrets, des problématiques avérées.

Dans le baraquement central, la conseillère en investissement soumet au groupe des placements alléchants… qui ont toutes les chances de s’effondrer au premier revers politique, même lointain.
Auprès d’un empilement de sacs de sable, l’entrepreneur raconte la triste histoire vraie du chantier inachevé de l’aéroport de Berlin, un gouffre financier, et avec humour, emmène le groupe expérimenter le système de désenfumage humain d’un couloir.
Du haut d’une grue, Transparency Int. (organisme international de lutte contre la corruption) nous met en garde sur ce que nous entrevoyons du chantier au travers d’un rideau opaque. Lequel, relevé un court instant, expose la réalité des bakchichs et autres manoeuvres de corruption pratiquées par des grands et petits groupes internationaux et nationaux.
Il ne faut rien moins que s’adonner à un art martial pour simuler la confrontation entre secteur privé et public. L’expert, un avocat en droit, use de cette analogie pour illustrer physiquement les termes de défenses, attaques, blocages, etc. qui émaillent les relations entre ces deux secteurs.
L’expert en main d’oeuvre se nomme Alvaro, ex-travailleur au noir, colombien. Il dévoile au groupe les douloureuses sinuosités que parcourent les ouvriers immigrés malgré leurs compétences et nous invite à mettre la main à la pâte.
De cette fourmilière humaine, le conférencier entomologiste perché sur un monte-charge, éclaire le groupe sur l’analogie avec cet insecte, qui parait autrement plus compétent et raisonnable. L’expérience des fourmis en matière de travail collaboratif date tout de même de 70 millions d’années!
Puis, une voix féminine à l’accent chinois sollicite notre imaginaire. Le groupe entreprend le voyage éprouvant d’un ouvrier chinois vers la capitale Beijing dont les chantiers fleurissent en vue des JO. Travaux répétitifs: courir, casque, creuser, clouer, peindre…Des gestes effectués comme une danse collective.
Enfin, la plate-forme de l’urbaniste révèle une vue d’ensemble sur le chantier, un recul qui permet un changement de point de vue systémique. Un urbanisme participatif est-il envisageable? Quelles idées pour notre propre environnement?

Au cours du spectacle, le regard s’ouvre simultanément sur la scénographie et sur ce monde. L’ensemble de ce qui nous est décrit est relié. Et nous sommes nous-même une des pièces de ce puzzle monstrueux.
Un final ludique et joyeux vient clore cet épisode théâtral hors du commun, une expérience immersive qui interroge avec intelligence le réseau de ficelles tirées par les puissants marionnettistes qui les manient, mais aussi nos choix personnels et notre rôle dans ce grand Barnum qu’est la société humaine actuelle. Chantier en cours?
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Nous nous tenons informés, nous nous doutons bien de l’existence de tripatouillages tels que pots de vin et fraudes. Certain.e.s en ont fait l’expérience et quelques affaires juteuses ont été commentées dans la presse. Qu’est-ce que l’économie industrielle? Voici le pdf d’un cours gratuit qui vous expliquera tout (si vous avez le courage de vous y plonger…).
Ce spectacle et la prise de conscience qu’il induit arrivent à point nommé! En Suisse, nous allons voter le 29 novembre pour une initiative intitulée « Multinationales responsables ». Votons OUI!
Sans cesse, des multinationales ayant leur siège en Suisse violent les droits humains et ignorent les standards environnementaux minimaux. Elles n’ont généralement aucune conséquence à craindre aujourd’hui, car les pays pauvres sont rarement dotés d’un État de droit fonctionnel et leur population n’a que peu de possibilités de se défendre.
Quiconque recourt au travail des enfants ou détruit l’environnement doit rendre des comptes. L’initiative vise les grandes multinationales ayant leur siège en Suisse. Il n’y aura de changement que pour les multinationales qui bafouent aujourd’hui systématiquement les droits humains ou détruisent l’environnement. Les PME ne sont pas concernées. Voir ICI l’argumentaire complet du projet.

Excellent article qui tombe effectivement à pic.
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