D’après Meursault contre-enquête de Kamel Daoud
Répétition générale publique de la pièce vue le 29 août 2020, production Théâtre de Vidy-Lausanne.
Prochaines représentations du 6 au 15.10.2021 à Lausanne, en février 2022 à Paris, en avril 2022 à Bastia et Marseille, etc.
En 2013, en Algérie puis en France, Kamel Daoud publie son premier roman « Meursault, contre-enquête » qui revient sur le meurtre de l’Arabe sans nom qu’Albert Camus dépeint dans son livre « L’Étranger » (1942, son premier roman également). Le metteur en scène Nicolas Stemann, utilisant l’écriture de plateau, interroge les différentes perceptions issues de leurs lectures et leurs implications contemporaines.
Dans son livre, Kamel Daoud imagine un frère à l’Arabe anonyme du roman de Camus. Des deux comédiens, l’un joue le rôle d’Haroun (Mounir Margoum), le frère de la victime, dont il nous apprend le nom: Moussa. Le second (Thierry Raynaud), semble incarner la France à lui seul, une France pieds-noirs et post-coloniale à la fois, qui se voudrait modèle de fraternité….tout en conservant certaines prérogatives. Les deux comédiens font preuve d’une remarquable intensité où l’humour reste bien présent malgré la gravité du propos.

Mimant tour à tour l’épisode du crime, chacun tente de s’en approprier l’histoire. Mais qui a le droit d’en parler? Dans un va-et-vient entre réalité et fiction, les deux interprètes découvrent leurs origines respectives et réalisent alors la difficulté de justifier par ascendance leur appartenance algérienne.
Pourtant, témoin de la colonisation et de ses injustices, « Aujourd’hui, M’ma est toujours vivante » insiste Haroun, contrefaisant le célèbre et glacial incipit de L’Etranger: « Aujourd’hui, maman est morte ».
Une scénographie sobre, composée de blocs de ciment, évoque un atelier: la construction comme la démolition, le piédestal sur lequel le livre de Camus est hissé, ou encore la supériorité d’un personnage. Un sac de terre figure aussi bien le mort que la plage où il a disparu. La présence d’un cercueil affirme la pérennité de ceux qui ne sont plus (et de leur successeurs…). Des pages des deux livres, des séquences photographiques d’Alger et des vidéos sont projetées sur le fond blanc du plateau, marquant les scènes de réminiscences et de témoignages, tout comme les séquences musicales.

Mais mieux vaut ne pas trop en dire et laisser le futur spectateur goûter aux multiples subtilités de cette adaptation en tous points réussie, profonde et émouvante.
Cette pièce, basée sur le troisième livre francophone le plus lu (datant pourtant de 1942), attire l’attention sur une corrélation avec des évènement contemporains, évènements qui affichent comme un fait flagrant les injustices commises dans le cadre d’un pouvoir où la couleur blanche est automatiquement privilégiée. Et ces injustices sonnent aussi absurdement que le procès de Meursault, accusé de comportement inadéquat plutôt que coupable d’homicide.
Pour aller plus loin, l’analyse du livre, condensé d’une conférence (2014) de Christiane Chaulet Achour : « L’endroit de l’envers : Kamel Daoud et Albert Camus »
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Au temps des déboulonnages de statues, où le zèle antiraciste peut interroger, le roman de Kamel Daoud offre un regard différent sur une oeuvre tutélaire sans pour autant la dénigrer. Une attitude qui donne à penser avec empathie plutôt que celle de l’effacement d’une Histoire dégradante. Prendre connaissance et conscience des erreurs et des horreurs passées devrait permettre d’en éviter, non?
Il était crucial de donner une identité et une vie à cet homme sans nom.
Ecouter sur France Culture : Les mouvements antiracistes, un tournant dans l’histoire?
