
Salle de spectacles de Renens du 8 au 11 janvier 2020
Après l’enthousiasme soulevé par son interprétation du «Phèdre!» de François Gremaud, Romain Daroles s’émancipe et célèbre sa nouvelle vie avec une création en hommage aux auteurs, aux professeurs et aux spectateurs.
Nous assistons au douzième et dernier cours d’une session sur la littérature introduite par une citation de Julien Gracq. Passionné s’il en est, ayant lui-même fréquenté les bancs de la Sorbonne, Romain Daroles campe le professeur de ce cours, pur et savoureux cliché d’un homme habité par une culture toute livresque, emporté peu à peu par son engouement pour une enquête littéraire sur un illustre inconnu, Louis Poirier (!) et son oeuvre fantasmée.
Un grand écran comme fond de plateau, une table de conférence où s’empilent des volumes à cour, une petite console à jardin pour lancer les diapos depuis l’ordinateur, tout ce qu’il faut à notre chargé de cours pour investir totalement l’espace, celui de la scène, mais aussi celui du public et des coulisses! Adoptant d’abord la posture courbée du rat de bibliothèque, le nez dans sa documentation, puis peu à peu se redressant, exalté par le sujet de son enquête littéraire, courant d’un bout à l’autre du plateau, découvreur d’une géographie qui lui semble jusqu’alors inexplorée, le comédien nous entraîne à sa suite dans un dédale de conjectures savoureuses et improbables, conduit par l’énigmatique Louis Poirier.

Quels auteurs tentés par une Vita Nova? Un écrivain imaginaire, créé par un grand auteur, ayant réécrit une oeuvre mythique à l’identique; un lieu, date et heure concordants avec l’agenda d’un second éminent auteur pastoral; le catalogue d’un artiste qui a fait saillir d’un monochrome une spongieuse réalité; la photo des futurs célébrités d’un nouveau mouvement artistique; France Culture et les inconnus de l’Histoire; une rencontre avec un philosophe tout juste manquée; un ticket de blanchisserie; … Mais l’hypothèse que Louis Poirier…?…. Roland Barthes??
C’est un tourbillon euphorique et fièvreux. Tout n’y est pas limpide, ce qui n’empêche pas de se délecter de situations, de coïncidences, de coq à l’âne et de citations. Le petit monde de l’historien passionné est totalement reconstruit par la présence galvanisante sur scène de Romain Daroles, que l’on sent lui-même traversé par cet amour de la grande littérature. Son phrasé, ses expressions, sa gestuelle évoquent avec humour, mais aussi justesse et tendresse, l’image de ces aficionados, légèrement illuminés par leur sujet, que l’on a tous rencontrés ici ou là.
Il fallait terminer en apothéose avec un salut de tous les personnages, Béatrice et Dante en premier lieu, puisque sa «Vita Nuova» est fondatrice. Puis les grands auteurs Borges, Cervantes, Giono, Cellini, Renoir, Mahler, Proust, les moines trappistes, la végétation, le loup, et pourquoi pas Rohmer? Un hommage aux grands écrivains mais aussi à ceux qui les lisent: nous, les spectateurs. Cette réjouissante Vita Nova est une exultation du gai savoir!
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En 1958, Klein déclare : « C’est cette extraordinaire faculté de l’éponge de s’imprégner de quoi que ce soit de fluidique qui m’a séduit. Grâce aux éponges, matière sauvage vivante, j’allais pouvoir faire les portraits des lecteurs de mes monochromes qui, après avoir vu, après avoir voyagé dans le bleu de mes tableaux, en reviennent totalement imprégnés en sensibilité comme des éponges. »
L’éponge imprègne en s’imprégnant, elle est une métaphore du vecteur d’informations et de savoir, transmettrice de sensibilité artistique. Tels le professeur et l’élève, l’écrivain et le lecteur, le peintre et le regardeur, l’acteur et le public.
