Au théâtre de Vidy-Lausanne du 4 au 7 décembre 2019
Entre mythes et Histoire, passé et présent, documentaires et fictions, le travail de Milo Rau est nourri d’enquêtes autour de personnages et de faits dramatiques.
En Irak, Mossoul se nommait Ninive, Eschyle y a écrit sa trilogie presque 500 ans avant J-C. Ce spectacle crée un lien entre sa tragédie de l’Orestie et l’actualité sanglante de cette ville, malgré sa reprise par les forces armées irakiennes en 2017.
«Mad World», le titre du groupe Tears for Fears, sera le thème musical de la pièce. Lorsque le public s’installe, une comédienne le pianote à jardin, tandis que tous les acteurs sont présents sur scène. L’écran sur lequel les vidéos et les textes traduits sont projetés surplombe la scène. De nombreuses scènes, en effet, ont été tournées à Mossoul avec des comédiens irakiens. Entre un cabanon et une buvette, un tas de détritus jonche le fond du plateau.
Les images projetées et l’action directe sur le plateau se conjuguent, reliant les comédiens d’ici à ceux de là-bas, le récit antique avec le contemporain, comme les costumes, revêtus à vue. Les langues se mélangent, anglais, irakien, néerlandais… instaurant des dialogues entre participants virtuels et réels.
Le spectateur, lui, se retrouve face à la réalité d’un comédien racontant son expérience d’acteur en Agamemnon, rêvant dans sa jeunesse de devenir archéologue, de cet être humain confronté aux vidéos des atrocités commises dans la ville.
L’interminable strangulation d’Iphigénie par son père se déroule en connaissance de cause et l’entendre est pire que de la voir.
Sur le tapis pourpre, les récits se suivent. La ville dévastée, le peu qu’il en reste, nous est contée et montrée. Telle une moderne Troie, ses ruines n’en finissent pas de se consumer. Ce photographe irakien les a filmées clandestinement au péril de sa vie durant les trois ans de peur précédant la libération de la ville. Il a tout vu. Après les exécutions sommaires des homosexuels par Daech, Oreste et Pylade (ou leur incarnation dans le présent) oseront-ils s’embrasser maintenant? Qu’est devenue cette jeune fille enlevée à son école par les djihadistes? Sa voix témoigne d’un calvaire indicible.
La trilogie d’Eschyle est restituée par bribes sur le plateau, filmée en direct ou enregistrée à Mossoul. C’est un choeur irakien qui rendra son verdict mitigé et Oreste sera sauvé par une hiératique et démocrate Athéna, laquelle procède à une votation sur le sort des soldats de l’état islamique: personne ne souhaite la mort mais personne n’est prêt à pardonner.
Ce cycle de la vengeance et de la violence, cette infernale répétition d’horreurs, encore plus que la condamner, il faut l’interroger. C’est là la force du théâtre de Milo Rau, ce questionnement incessant qu’il nous répercute. Depuis «un endroit dans le monde où l’on peut comprendre quelque chose d’un texte» (Milo Rau dixit), il nous permet de retrouver une sensibilité, une humanité, enfouie dans le magma des informations médiatiques qui nous sont déversées.
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L’Orestie en résumé: Après avoir sacrifié sa fille Iphigénie pour satisfaire la déesse Artémis, Agamemnon rentre victorieux de la guerre de Troie. Son épouse Clytemnestre ne lui pardonne pas la perte de leur fille et l’assassine. Oreste, leur fils, venge son père en tuant sa mère et Egisthe, son amant, fils de Thyeste. Ce crime sera pardonné par un tribunal athénien (l’Aéropage) et le soutien de la déesse Athéna.

Ces crimes sont ordonnés par un oracle, un devin, un dieu ou une déesse hormis celui de la mère qui venge la mort de son enfant. Dans les récits mythologiques, les comportements vengeurs des humains sont insufflés par des puissances spirituelles qui demandent à être dédommagées d’un affront.
(…)les premières sociétés humaines étaient familiales et claniques. En cas d’agression, il était vital, pour chacun et pour le clan, de se défendre. La capacité de se venger d’un acte négatif et la démonstration de cette capacité constituaient des marqueurs sociaux de première importance. Qui ne réagissait pas pouvait être considéré comme une proie sans défense, en particulier du point de vue des hors clans. Le recours à la vengeance en cas d’agression constituait donc une norme ; un crime qui n’avait pas été vengé par ses victimes devait être vengé par les descendants. (In Cerveau &Psycho, article du 6.11.14)
Donc la vengeance, ce mécanisme de défense archaïque, fut un marqueur social de survie. Nos sociétés occidentales ont instauré une médiation par la fonction judiciaire, même si un jugement et une sanction d’un tribunal ne peuvent tout réparer.
Le pardon est une autre voie. Qui a vécu et accepté sa colère, sa douleur et sa tristesse, a la possibilité de se reconstruire. A la condition toutefois que l’agresseur ait exprimé une forme de regret. (source)

A la logique du oeil pour oeil et du dent pour dent on a substitué des peines de remplacement en évaluant la perte en or ou en années de prison ou les deux
C’est la marchandisation du mal et de sa réparation
quel progrès!
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On peut le voir ainsi. On peut aussi se réjouir que l’humanité ait su créer comme une « distance de réflexion » entre victimes et agresseurs. Et surtout un organisme indépendant d’évaluation d’une (si ce n’est de la…) vérité.
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