
Au théâtre de Vidy-Lausanne du 25 septembre au 10 octobre.
Etrange spectacle où le vivant ne se trouve que dans les rangs du public.
Thomas Melle est un auteur dramatique allemand. Son livre «Die Welt im Rücken» décrit la vie et le raisonnement d’une personne souffrant du syndrome maniaco-dépressif. Il y exprime avoir extrait quelque chose de son intériorité, partageant, par l’intermédiaire de ce livre, une intimité incommunicable autrement. Ce quelque chose est cette maladie contraignante qui l’emporte dans des phases de perte de contrôle. Il nous invite ici à une conférence-lecture sur l’instabilité.
Un écran, un ordinateur sur une petite table, un fauteuil sur lequel est assis Thomas Melle. Lorsque la lumière l’éclaire, ses yeux s’ouvrent et parcourent l’assemblée. Sa posture est décontractée, une jambe négligemment posée sur l’autre. Puis il nous souhaite la bienvenue.
L’homme qui nous reçoit n’en est pas un. C’est le double animatronique de Thomas Melle. Un robot anthropomorphe. Bluffant par son apparence humaine et la texture de sa peau. Son visage, sa tête, ses bras et ses mains se meuvent. Sa voix est doublée, directement traduite en français, donnant la même conférence à chaque représentation. Elle exprime les mots du Thomas humain par l’intermédiaire de ce double technologique.
Paradoxalement, comme pour nous inciter à considérer son humanité, il commence par commenter des photos de la jeunesse de Thomas, celui que l’on pourrait appeler… comment l’appeler? son mentor? son modèle? son programmateur? son original? Un vertige s’installe. Voilà. Face à cet humanoïde, déjà le questionnement afflue.
Il décrit maintenant les avantages que lui procure son avatar: plus besoin de donner les sempiternelles réponses aux mêmes questions publiques, foin des gestes et des attitudes du conférencier qui prennent le pas sur son écrit. Pour dépasser sa propre panique, il agit de toute façon comme une machine.
« Après avoir partagé la partie de mon esprit que j’ai extraite pour mon livre, j’ai maintenant externalisé mon corps et je peux le laisser faire des tournées et toutes les choses désagréables. »
Evoquant Alan Turing, sa machine et son test, affichant sa propre capacité de contrôle sur l’éclairage, abordant aussi le confort apporté par les différentes prothèses ou implants technologiques, le robot philosophe conclut que ces procédés nous rapprochent, nous humains, de ce que nous voudrions être. Qu’est-ce qui fait de nous des humains? Est-ce seulement le côté aléatoire de notre caractère? Ne sommes-nous pas bernés par notre mémoire même?
«Plongeons la pomme dans le chaudron pour qu’elle s’imprègne de poison» chantonnait Alan Turing, le fondateur de l’informatique. Lui a fini par la croquer, son individualité récusée par la société. Ce qui devient peu à peu notre indispensable mémoire externe, cette technologie informatique, une pomme géante qui peu à peu nous avale et réduit les fondements de notre humanité?
Etonnament, c’est durant le film montrant la pose de sa peau en silicone sur le mécanisme du robot que se mettent à l’oeuvre mes neurones miroirs. Les doigts des techniciens enfoncés dans les orbites factices, farfouillant pour trouver le bon angle de pose, me perturbent. Pour autant, rien à voir avec de l’empathie. Qu’est-ce qui nous empêche de franchir cette vallée qui nous sépare? Qu’y a-t-il d’étrange exactement? Qu’est-ce qui cloche? Suivre les règles humaines, n’est-ce pas aussi une forme de programmation?
Cette « conférence à distance », donnée par un homme qui est là sans l’être, aboutit sur la nature de ce qui nous est offert par la technologie. Un questionnement philosophique et éthique auquel, en tant que sujets de cette conférence, nous sommes et serons inévitablement confrontés.
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Le syndrome maniaco-dépressif ou trouble bipolaire dont souffre Thomas Melle compte parmi les dix maladies les plus handicapantes selon l’Organisation Mondiale de la Santé. C’est une maladie mentale qui entraîne de graves dérèglements de l’humeur caractérisés par une alternance de phases d’exaltation, avec une augmentation de l’énergie et une hyperactivité, et des phases de baisse d’humeur (état dépressif). Les causes de la maladie sont inconnues. Elle serait issue d’un terrain génétique ainsi que de facteurs environnementaux.

Et je viens enfin de retenir le nom de David Altmejd : j’ai vu The Flux and the Puddle au Musée National des Beaux-Arts de Québec cet été et une autre de ses sculptures, l’Oeil, devant le Musée des Beaux Arts de Montréal, il me semble. Ça met parfois le temps pour tout connecter.
Curieux de voir cette conférence, un jour peut-être…
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