«Narcisse et Echo» de David Marton § narcissisme

Au théâtre de Vidy-Lausanne du 12 au 21 septembre 2019.

(c) Nurith Wagner-Strauss

Après son inoubliable adaptation musico-théâtrale de « La Sonnambula« , le metteur en scène David Marton s’inspire du mythe de Narcisse et Echo, d’après « Les métamorphoses » d’Ovide. Une exploration théâtrale du son, de la musique et de l’image.

Le spectacle commence par une attente baignée d’images et de sons, d’où des bribes de reconnaissances mémorielles jaillissent ici et là. Un objet ou une mélodie qui se présentent à notre regard ou à notre ouïe.

Sur le plateau, cinq cages ou cabines, chacune d’une couleur différente, revêtues de parois transparentes. On distingue un piano dans l’une, une autre est garnie de plantes vertes, et dans une troisième, incongru, un tourniquet à cartes postales. Les sonorités qui nous entourent sont empreintes de mystère, assourdies, graves. Un passage de chant lyrique, un extrait de générique connu, un souffle de vent…

Cinq comédiens, loufoquement sérieux (ou sérieusement loufoques), un texte, celui d’Ovide, des sons, parlés, criés, chantés, murmurés, enregistrés, et des musiques, assemblages de mélodieux et de dissonant, telle une mosaïque auditive. C’est un mélange inattendu, surprenant et totalement original. Une forme théâtrale qui adhère au thème des métamorphoses, là où doux et harmonieux s’enchevêtrent avec tonitruant et abrupt.

Les personnages investissent chacun une cage. Un pianiste. Un trompettiste. une jeune fille. Leurs parois deviennent miroirs pour leur occupant. Un homme éprouve les textures variées de l’eau. Une femme se pomponne avec soin, sort, puis change d’avis à peine la porte franchie. Confrontation impossible. Irrémédiable solitude célébrée par Purcell, chantée par ce choeur murmurant.

C’est l’histoire de celui qui, par son dédain des autres, devient «l’aimé et l’amant» à la fois et de celle qui «jamais n’appelle et toujours répond»: Narcisse, le vase clos, et Echo, condamnée par Junon à répéter des sons, démunie du libre usage de sa parole. Tous deux encagés dans leur reflet, l’un de son image, l’autre de sa voix. Des cages lumineuses, scintillantes, mobiles, colorées, où ils sont captifs. Du miroir à l’écran, avons-nous franchi le pas?

Le poème de la jeune fille, livrant timidement, presque sous la contrainte, ses malaises existentiels, semble l’unique authenticité qu’elle se permette… Recouverte ensuite par des projections ruisselantes, son visage se décale de lui-même provocant l’illusion d’un «moi» démultiplié, son reflet prenant vie. Une très belle scène.

(c) Nurith Wagner-Strauss

La splendide scénographie de Christian Friedländer sublime le propos mythologique tout en l’actualisant. Mêlée aux lumières de Henning Streck, c’est par moment une véritable symphonie d’images lumineuses. La création sonore (Daniel Dorsch) modulée dans son intensité et sa texture, reflète le sens expressif du récit, tour à tour écrasant, tourmenté puis délicat et étincelant. Elle est accompagnée en direct par le trompettiste Paul Brody et du pianiste Michael Wilhelmi. Les comédiens jouent d’un burlesque accompli. Et comme dans les mythes, certains mystères demeurent. Ainsi, pourquoi le bras en écharpe? La cigarette?

Page du spectacle.

«L’image qui s’offre à tes propres regards n’est que ton ombre réfléchie; elle n’a rien de réel; elle vient et demeure avec toi; elle disparaîtrait si tu pouvais t’éloigner de ces lieux.» (Ovide, «Echo» III, 365-510)

§

En 1914, parait l’essai de Sigmund Freud intitulé « Pour introduire le narcissisme » dans lequel il définit « l’excessive confiance en soi qui mène à l’égocentrisme sans être compensée par la considération d’autrui ».

Leon Battista Alberti , premier théoricien des arts, fait de Narcisse l’inventeur de la peinture.

John William Waterhouse, « Echo et Narcisse », 1903, Huile sur Toile

Le concept de persona, l’image qu’une personne cherche à donner d’elle-même, est élaboré par Carl Gustav Jung: se voir soi-même dans le miroir de l’autre. Ce que fait tout un chacun pour s’adapter à la société et qui deviendrait pathologique lorsque, de l’identité du moi, ne reste plus que l’imitation.

Dans le domaine des sciences sociales, le mécanisme du narcissisme contemporain est analysé dans le livre de Laurent Schmitt, « Le bal des égo ». La téléréalité, l’enfant-roi, les médias personnels, le repli sur soi, les selfies, le populisme qui laisse émerger des figures tendancieuses en politique…autant de manifestations du narcissisme ambiant… à analyser avant d’en tirer des conclusions.

 « Notre époque met le narcissisme à toutes les sauces, confondant le narcissisme sain, positif, qui permet d’avoir suffisamment confiance en soi, pour s’affirmer, et le narcissisme pathologique, qui consiste à se mettre en avant de façon arrogante et souvent aux dépens des autres. » Marie-France Hirigoyen, psychiatre.

Sur France Culture, « Les chemins de la Philosophie » ausculte le mythe de Narcisse dans une série d’émissions, dont la troisième aborde la question du miroir: cliquez ICI.

Fountain (clip) from Patty Chang on Vimeo.

 

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