« Retour à Reims » de Thomas Ostermeier / Didier Eribon § chanson engagée?

Du 5 au 7 avril et du 28 mai au 15 juin 2019 au Théâtre de Vidy-Lausanne, et en tournée française.

Le metteur en scène Thomas Ostermeier offre ici une vue globale des grands thèmes abordés dans le livre de Didier Eribon «Retour à Reims» paru en 2009. Cet essai sociologique, à lire absolument si ce n’est déjà fait, raconte à la première personne le questionnement de l’auteur sur sa rupture avec son milieu familial. Se l’expliquant d’abord uniquement par l’homophobie de son père ainsi que de celle de son milieu de vie, il revient sur ce propos en se demandant si cette rupture ne serait pas tout autant due à «l’inavouable» classe sociale d’où il provient, chose qu’il avait occultée auparavant. La honte d’appartenir à la classe ouvrière, comme un déni d’origine.

Le prétexte théâtral est le doublage audio d’un film documentaire inspiré de l’essai de Didier Eribon. La scène, un studio d’enregistrement, est revêtue de parois acoustiques: cabine de régie côté cour, mobilier de confort à jardin, table de travail au centre. Un grand écran de projection surmonte le tout. Les trois protagonistes sont le réalisateur du film, le propriétaire du studio et la comédienne.

Vidy_Ostermeier_RetourAReims_PhotoMathildaOlmi_Théâtre Vidy-Lausanne21_HD

La comédienne (Irène Jacob) va redonner vie au texte du livre. En simultané avec les images filmées défilant sur l’écran, les mots d’Eribon prennent une dimension nouvelle, une épaisseur palpable. Les voyages dans le temps figurés par les paysages vus du TGV, la plongée dans le passé en images et en mots lors une rencontre avec sa mère autour de photographies d’enfance, l’époque de la jeunesse du père honni, maintenant disparu, époque de pauvreté et de labeur incessant. La culture d’un marxisme idéalisé où tu ne peut être que « pour ou contre l’ouvrier » : pas de place pour la nuance. Pareil pour la virilité, exaltée par des comportements standards implacables, celui qui ne s’y conforme pas devient bouc émissaire et subit l’anathème : évocation de l’adolescence torturée de l’écrivain.

 

Le film réalisé par Sébastien Dupouey et Thomas Ostermeier offre de belles prises de vues, des images d’archives judicieuses, et aussi des citations visuelles très pertinentes comme cet extrait de «La Belle et la Bête» («Si j’étais un homme» dit la Bête) en regard du texte où Reims est pour Eribon la ville de l’insulte. Ou encore la réminiscence de cette chanson de Françoise Hardy «Tous les garçons et les filles» qui semble avoir été écrite pour le jeune homme solitaire qu’est Didier Eribon.

La comédienne interrompt le flux et demande une pause. La discussion avec le réalisateur porte sur le complot, le monopole. Les Murdoch et Bolloré, êtres maléfiques ou produits d’un système? Les choix du réalisateur provoquent une discussion. Le technicien du studio, français d’origine africaine, commente lui aussi en regard de ses propres références culturelles. L’occasion pour lui d’interpréter un rap vivifiant intitulé «Batard du terroir».

Cette pause, où l’on se trouve dans une plus grande intimité avec les acteurs, permet la jonction avec la seconde partie du livre, plus globalement politique. Les images projetées de Mai 68 (Sartre, Mitterand ou la guerre du Vietnam) situent l’action, montrent la réelle solidarité qui existait entre les ouvriers manifestants et les personne issues de l’immigration, et éclairent le choix des classes ouvrières pour les partis d’extrême droite. La gauche ayant abandonné sa mission de porte-parole des plus démunis, les nationalistes, les extrémistes et les populistes s’en empare.

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Filmé en direct par le réalisateur, le technicien, premier noir de Normandie, fait alors le lien avec sa propre histoire et celle de son grand-père africain, tirailleur lors de la seconde guerre mondiale dans ce que l’on appelait les «forces noires» de l’armée française, évincées lors des défilés militaires pour cause de blanchiment des troupes! Et la chanson politique qui fleurissait lors des années soixante est ressuscitée par le RAP, permettant un final musical enthousiasmant.

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«La question de la mémoire est une question compliquée, parce qu’évidemment le monde change, et la pensée de gauche doit se reformuler, se réinventer, se recréer. (…) Il y a des révolutions qui ne se déroulent pas au niveau de la seule instance économique, mais qui n’en apportent pas moins des transformations radicales des structures mentales et donc sociales, comme le féminisme, le mouvement LGBT, par exemple. (…)» Didier Eribon (conversation avec T.Ostermeier, 5.01.2017)

Crédit Photos : Mathilda Olmi, théâtre de Vidy.

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Après Boris Vian, Georges Brassens, Léo Ferré ou Renaud, où se cache maintenant la chanson engagée, si ce n’est dans les textes politiques de la musique Rap ou Hip Hop?

Un blog spécialiste  (Cilquez):

Quelle a été la place de la musique engagée dans les différents événements politiques et sociaux aux États-Unis et en France durant le 20ème siècle ? 

 

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