Dans le cadre du Programme Commun. Du 3 au 7 avril au théâtre de Vidy-Lausanne.
Un sentiment de ravissement nous habite à l’issue de ce panorama profondément humaniste. Pour son vingtième spectacle, Jérôme Bel a préféré revenir sur le fil de ses productions pour en faire une sorte de bilan chronologique. Ainsi, il a choisi dans ses archives vidéo des extraits représentatifs de sa réflexion chorégraphique pour en faire un film d’une heure quinze projeté sur un écran, sans présence vivante.
Le chorégraphe, d’une voix circonspecte et austère, présente sa démarche en quelques phrases. C’est à un recyclage que le public va assister. Dix-huit pièces dansées par cinquante-deux personnes pour une sélection subjective exposant ce qui intéresse aujourd’hui Jérôme Bel de son passé chorégraphique.
Partant d’une première production montrant une femme nue inspectant l’élasticité de sa peau, puis de celle d’un couple nu dont le pouls de l’un pris par l’autre est répercuté dans sa jambe, ces premières images donnent le ton: un tâtonnement introspectif individuel, suivi d’une approche tactile de ce qui permet à l’autre de vivre, puis de le faire résonner en soi.
Ce sont les messages qui saturent notre vie, ces injonctions cachées, qu’il a choisi de montrer avec un extrait du spectacle «Shirtologie». Le comédien-danseur enlève l’un après l’autre les multiples T-shirts qu’il porte les uns sur les autres, exécute le slogan inscrit dessus, puis passe à la couche suivante. L’automatisme de l’acte occasionnant une perpétuelle découverte surprenante et une action imposée.

Trois morceaux de musique pour une vingtaine de personnes en demi-cercle. L’injonction, ici, provient du texte du morceau lui-même. Let’s dance, I like to move it, Ballerina girl, trois morceaux interprétés à la lettre et dans le tempo, avec ce qui parait être la personnalité distinctive de chacun. Un effet de groupe et des performances individuelles extrêmement drôles.
Deux extraits de la pièce «Véronique Doisneau», cette danseuse-sujet, jeune retraitée de l’opéra de Paris. Rêvant de danser le ballet «Giselle», elle l’interprète en chantant elle-même le thème musical, son essoufflement ajoutant à la consistance de la performance. Puis une partie du Lac des Cygnes, où trente-deux danseuses prennent, durant le ballet, d’innombrables poses immobiles, censées encadrer le solo des étoiles. Et l’on voit Véronique rejouer seule ce calvaire alors qu’elle vient de dire que cela lui donnait envie de hurler ou de quitter la scène. Mais sa propre singularité est pour une fois mise en évidence.
Les extraits suivants (Disabled Theater) montrent une réunion de jeunes trisomiques, se présentant comme acteurs, assis sur des chaises et la prestation dansée de trois d’entre eux sur une musique de leur choix. Avec un naturel et une joie évidente, le plaisir de ceux qui regardent depuis la scène et aussi grand que celui ou celle qui se produit. Le public, lui, est confronté à une marginalité qu’il n’a pas l’habitude de côtoyer et qui pourtant trouve ici une raison d’être égalitaire: la représentation théâtrale.

Enfin (Gala), une assemblée hétérogène de personnes d’âges, de sexes, d’origines, de compétences différents. Enfants, adultes de tous âges, handicapés, etc. imitent les postures et mouvements d’une danseuse ou d’une danseur professionnel. D’abord, chacun son tour par une pirouette classique, puis c’est le groupe entier qui s’essaie aux techniques d’un.e artiste. Danse africaine, ballet classique, techno, twirling bâton… Où l’on s’aperçoit de la singularité de chaque performance individuelle, même ratée. Où l’on remarque que la virtuosité dans une technique ne permet pas forcément l’aisance dans une autre. Où l’esthétique décalée et imparfaite devient savoureuse.

En déconstruisant les conventions habituelles de la danse, Jérôme Bel rend visible les différences et les annule à la fois. Une égalité rencontrée dans l’impossibilité de la perfection.
Ode à la singularité, archives d’une oeuvre, spectacle généreux, cette Rétrospective, qui donne à voir une démarche étalée sur une vingtaine d’années, est un merveilleux et pertinent prélude pour aborder le travail éminemment fascinant de Jérôme Bel.
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« À travers les époques, la danse a toujours été un moyen d’expression formidable et accessible à tous. Loin de se limiter aux entrechats et autres tutus, plusieurs associations se proposent d’aborder ainsi la danse comme un facteur d’intégration ouvert à tous, valides ou en situation de handicap. C’est autour de cette volonté que s’est créé la compagnie Tatoo Inclusive autour des thèmes handicap et danse.(…) »
Source: Handirect, média expert handicap

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Une réflexion sur “« Rétrospective » de Jérôme Bel § danse et handicap/ciné-ma différence”