Helena Almeida (1934-2018)§ Yasmine Hugonnet (1979)

Helena Almeida est à la fois peintre, photographe et performeuse, née à Lisbonne. Elle étudie aux Beaux-arts de l’Université de Lisbonne et en sort diplômée en 1955. Elle est reconnue en tant qu’artiste conceptuelle dès les années 70 et représente le Portugal par deux fois à la Biennale de Venise (1982, 2005). Fille d’un sculpteur célèbre dans son pays, Leopoldo de Almeida, elle apprend la contrainte de la pose depuis son enfance. Elle n’a jamais quitté cet atelier, qu’elle a fait sien après son père.

Dans les années 60, elle travaille sur une déconstruction de la peinture: toiles qui s’ouvrent, qui coulissent, qui s’enroulent, motifs qui tombent…

Helena Almeida, vue de l’exposition du Jeu de Paume, 2016

Comme la plupart des artistes conceptuel.les, elle s’intéresse au travail de Marcel Duchamp, l’anartiste, celui qui refuse l’odeur de la térébenthine, invente un art sans peinture et joue avec le cadre dans plusieurs de ses oeuvres.

Helena Almeida, « Toile habitée », 1976, neuf photos, ch. 43x33cm

En 1966, elle découvre le travail de Lucio Fontana, ses toiles lacérées. C’est pour elle un choc visuel et conceptuel puissant dans sa simplicité. Elle décide que la photo noir et blanc sera son médium pour mettre en scène l’action et le mouvement.

Helena Almeida, Pink Canvas to wear, 1969

Helena Almeida renonce alors à la seule peinture. Elle prépare et dessine les poses choisies, les détaillant avec précision, processus de longue haleine, pour ensuite confier la photographie à son mari, Arthur Rosa: « Tout est pensé et dessiné d’abord et, du coup, je n’ai pas besoin de peinture. Ensuite, le travail final, c’est la photographie. » Réfutant l’autoportrait, elle se crée modèle et artiste à la fois. Le corps, la peinture et l’espace sur le même plan artistique.

Helena Almeida, « Etude pour enrichissement intérieur » (Acrylic on gelatin-silver print), 1977. Courtesy Portugal Telecom Collection.

Son visage finira, après 1980, par disparaître du champ photographique pour laisser l’entière liberté au postures, gestuelles et mises en scène de son corps.

Helena Almeida, Pintura Habitada, 1978 10 B/W photographs and blue acrylic (29 x 19 cm) each

La photographie lui permet de dépasser la peinture, la vidéo et les séries lui permettront de dépasser la photographie et de fixer ses « chorégraphies ». Pour Helena Almeida, la peinture crée l’espace et le bleu le représente le mieux. Elle s’approprie ce bleu comme Klein l’a fait en utilisant le corps des femmes comme pinceau! Une revanche? Non, elle ne se revendique pas comme féministe.

« Il n’y avait pas de distinction entre l’extérieur et l’intérieur. Mon intérieur était l’extérieur, mon extérieur était aussi mon intérieur. Tout était dans tout et j’ai compris cela, que la toile était entièrement en moi, de la même façon que j’étais entièrement dans la toile. »          Helena Almeida

Dentro de mim (1998) © Helena Almeida

La narration, au coeur de son travail conceptuel, se fait aussi sous forme de séries de photos ou par la vidéo.

Helena Almeida Sem titulo , 2010 , (Vidéo disponible dans l’exposition et mettant en scène Helena et son époux marchant ensemble liés et entravés par une jambe)

Ce lien se matérialise par l’épais fil noir qui les enserre par les mollets dans la performance Sans titre (2010), déclinée en vidéo et en photographies. Cadré du haut de la cuisse aux pieds, le couple vieillissant marche de concert dans un va-et-vient lent et silencieux devant l’objectif, cheminant du premier à l’arrière plan. Béquille l’un pour l’autre autant qu’entrave au bon équilibre de chacun, la vidéo symbolise l’ambivalence des relations humaines et du mot «attachement» : l’amour autant que la violence. À mesure que leurs deux semelles blanchissent le carrelage de l’atelier arpenté de long en large, le fil se dénoue en signe de séparation, évoquant le passage de la vie à la mort. Alexandrine Dhainaut, 2011

Lire l’article de Lunettes rouges, amateur d’art éclairé, qui fait l’apologie de l’oeuvre de cette grande artiste.

Ci-dessous, la vidéo sur l’exposition qui a eu lieu au Jeu de Paume en 2016, intitulée Corpus:

§

La démarche artistique d’Helena Almeida m’évoque celle de Yasmine Hugonnet, une chorégraphe suisse qui a entrepris un intense travail d’exploration du langage (et) du corps.

Photo: ©Anne-Laure Lechat

Là où l’équilibre fragile parait solide, où les symétries se répondent, où les membres fragmentés cherchent leur propre expression, sa recherche de postures est aussi porteuse d’émotion que celle de la plasticienne portugaise.

Chez Yasmine Hugonnet, ce sont son corps et sa voix qui créent l’espace. Pour elle aussi, l’intérieur semble se confondre avec l’extérieur. Le souffle, le cri, les expérimentations vocales, puis la ventriloquie sont les instruments qui complètent le travail de son corps. Sa voix pourrait être analogue à la peinture qu’ajoute Helena Almeida sur ses photos.

Si la plasticienne produit des « peintures habitées »(1975), la chorégraphe conçoit une danse vocale intestine. Par la ventriloquie, la parole naît d’un corps inactif dissocié du son. La main peut capturer la voix, tandis que la bouche se fond dans l’immobilité.

Yasmine Hugonnet, « Se sentir vivant », création 2017

L’une et l’autre travaillent sur des motifs qui paraissent très simples. Le geste donne une impulsion, c’est tout. Il revient au spectateur d’y intégrer ses propres perceptions. La posture comme un réservoir, empli de suggestions, d’expressions.

Chacune dans son domaine donne à voir, à sentir, à percevoir une histoire des humains au travers des langages du corps, des mouvements arrêtés et des espaces habités.

Je zoome dans les lieux de communication que sont le corps, le visage, la voix, les mots.

Je ne dirais pas représenter des mouvements. Je dirais traverser, visiter, habiter…des postures; la durée de tenue d’une posture permet de la visiter comme un réservoir de l’histoire des humains et de leur expressivité.

Yasmine Hugonnet

YASMINE HUGONNET « Le Récital des postures » les 16 et 17 novembre 2017 // TEASER from Théâtre Vidy-Lausanne on Vimeo.

 

 

Et comme celui qui hors d’haleine,

sorti de la mer au rivage,

se retourne vers l’eau périlleuse et regarde,

ainsi mon âme qui fuyait encore,

se retourna pour regarder le pas

qui ne laissa jamais personne en vie.

Quand j’eus un peu reposé le corps las

je repris mon chemin sur la plage déserte,

et le pied ferme était toujours plus bas que l’autre.

Dante Alighieri, « La Divine Comédie: L’Enfer ».

(cité par Yasmine Hugonnet dans la pièce Se sentir vivant)

Le travail de Yasmine Hugonnet est à voir dans le cadre du Programme Commun au Théâtre de Vidy, Lausanne, les 3 et 4 avril 2019 dans la pièce Chro no lo gi cal (la chronique de ce spectacle ICI).

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