« M. la Multiple » de Nina Negri § instinct maternel?

M. la Multiple 5

Dans le cadre de « Newcomers » au théâtre de Vidy, Lausanne, du 31.01 au 2.02 2019.

Après s’être formée en Italie et en France, Nina Negri passe son Master Mise en scène auprès de La Manufacture, Haute Ecole des arts de la scène. Elle fonde en 2014 la Compagnie AlmaVenus et présente ici son projet de fin d’études.

Un losange flou émerge lentement de l’obscurité. On dirait d’abord une sculpture de Madonne, bras écartés. Et puis non, c’est une monumentale vulve ouverte, d’une blancheur virginale. Derrière le tulle, apparait l’ange annonciateur et une vierge en extase recouverte de son voile bleu. Jusqu’à l’instant où un moderne quidam fait irruption devant ce tableau baroque et, en terme technique, confirme la grossesse. Marie s’effondre…

Orazio Gentileschi, détail de « Annonciation », 1623

Car, oui, ce M de l’intitulé est bien celui de la Mère. Ou plutôt des mères, idéales ou monstrueuses, y a-t-il un potentiel juste milieu? Imaginons sa silhouette. Elle n’a pas tellement changé au cours des siècles. N’est-elle aujourd’hui encore que le miroir de la sainte Mère entrevue dans les Ecritures?  Tout le propos de cette pièce s’appuie sur ce statut, cette fondation humaine, celle qui enfante et devient l’incontournable pilier de chaque être.

Malgré l’intrusion d’une échographie, le mystère de la création reste entier si l’on réfléchit à ce qu’il implique. Comme un cheval fou lâché dans la ville, l’enfant qui naît est précipité dans un monde hostile. Sa génitrice n’est pas moins désemparée.

Un monolithe rectangulaire, tel l’éternel statut de la mère, est dressé sur la scène, citation cinématographique de l’aube de l’humanité. Fendu en son centre. D’où naîtra, dans une cacophonie grinçante, un être nu et fragile. A la merci, attendrie ou exaspérée, d’une personne toute puissante.

Louise bourgeois, Maman, 1999

Découvrir la maternité, c’est pénétrer un nouveau monde. Un monde où il faut accepter l’aléatoire et le paradoxal, quelque chose de douloureux et d’unique. Quelque chose qui morcelle et fragmente le corps féminin. C’est devenir des parties d’allégories statufiées, figurées dans la pièce par des prothèses artistiques.

Pour l’enfant, la toute puissance d’une mère est protectrice. Au début. Pesante finalement. Ses recommandations perpétuelles, souvent les mêmes, sont scandées par un individu tournant sur lui-même qui, comme les vrais derviches, passe de la mendicité à la folie. Maman? Mamaaan! Un moment drôle et tragique à la fois.

Pareil pour les injonctions maternelles. Comme d’un habit choisi, l’enfant est revêtu de consignes, il va falloir se battre pour les ôter. La fantastique danse acharnée et colérique du comédien en viendra à bout.

C’est un poème vibrant qui dira toute l’ambiguïté du rapport à la figure de la mère. La mère qui donne, que l’on veut malgré tout pour soi, « ma mère, ma croix, elle et moi, elle est moi, elle est à moi… ». Par sa force et son courage inouï, elle apprend à danser la vie.

M. la Multiple 4

Un vaste thème que celui de la maternité. La pièce de Nina Negri rassemble énormément d’idées esthétiques, traitées en symboles quelquefois obscurs, mais qui interrogent judicieusement le spectateur. L’ambiance sonore, très travaillée, est enrichie de chants a capella. En filigrane, le souffle de Romeo Castellucci imprègne l’atmosphère de la pièce. Les textes sont puissants et bien écrits, complétés par des parties visuelles souvent poignantes. Interprétée par cinq comédiens-danseurs impressionnants, cette réalisation mérite toute notre attention.

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L’instinct maternel n’existe pas, c’est une construction sociale et mentale.

« Dans l’espèce humaine, lorsque l’enfant naît, compte-tenu de sa particulière fragilité et d’une certaine lenteur de développement, celui-ci ne peut pas être autonome avant, au minimum, l’âge de 7 ans. Ce qui suppose un temps de dépendance totale extrêmement long en regard d’autres espèces animales. C’est donc de cette rencontre entre la volonté de se reproduire et la nécessité de protection que peuvent se développer des relations entre la mère et son bébé, relations qui sont marquées par des affects très forts. Mais qui ne relèvent pas de l’instinct. »

Françoise Héritier, anthropologue

Echographie du foetus

« (…)grâce à son « libre arbitre », l’Homo sapiens est capable de court-circuiter les programmes instinctifs dépendants des hormones. Tout ce qui relève des instincts chez l’animal est contrôlé chez nous par la culture. (…)Le vécu d’une femme face à son enfant est le produit de son histoire personnelle, et du contexte social, économique, politique dans lequel naît cet enfant. »

Catherine Vidal, neurobiologiste

Louise Bourgeois, Femme, 2005

« (…)Le sentiment maternel est donc une élaboration psychique intense, souvent très pulsionnelle, déraisonnable ou merveilleuse, mais c’est toujours le résultat d’une histoire personnelle, celle de la mère et de son rapport à la maternité, autant qu’à son enfant. »

Maryse Vaillant, psychologue

Source : psychologie.com

Louise Bourgeois, Femme maison, 1994 http://www.xavierhufkens.com/artists/louise-bourgeois

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