
« H2-Hébron » de Winter Family, au théâtre de Vidy, Lausanne, du 21 au 30 novembre 2018.
Conception, recherche, entretiens, mise en scène, scénographie: Ruth Rosenthal et Xavier Klaine.
La ville d’Hébron en Palestine, comme un ventre incisé, est depuis une vingtaine d’années affectée d’une plaie à vif qui se nomme H2 (env. 20% du territoire de la ville). Une zone « stérilisée » selon l’armée israélienne, occupée par quelques familles de colons juifs protégées par cette armée. C’est là que nous, touristes ingénus, sommes conviés par Ruth Rosenthal, notre guide impartiale.
Une déflagration donne le la, nous entrons et prenons place de part et d’autre d’une longue table recouverte d’une nappe noire. La visite peut commencer.
Emplacement du Tombeau des Patriarches (et Matriarches!) ou mosquée Al-Ibrahim, lieu de pèlerinage pour les trois religions monothéistes, l’endroit est hanté d’une histoire religieuse hypersensible. Erigé, selon la légende, sur le premier morceau de terre promise acquise par Abraham, il est un enjeu majeur pour musulmans, juifs et chrétiens, dont l’ancienne cohabitation pacifique a disparu depuis 1929.
Ruth Rosenthal et Xavier Klaine ont recueillis et transcris près de 500 pages de témoignages qui sont devenus l’unique matière du spectacle. Utilisant tour à tour la voix de soldats, d’activistes, de résidents colons et de voisins palestiniens, notre accompagnatrice va nous raconter la vie des humains demeurant aux abords de ce lieu saint, dans la zone H2.
Sa voix, son débit, le flux de sa narration témoigne du stress ambiant. Impétueuse et fière, elle retrace l’Histoire du lieu selon les différents points de vue, passant de la mère de famille israélienne colon au résistant d’Hébron, du voisin palestinien à l’observateur international temporaire (TIPH), du soldat armé à l’étudiant. Elle est une personnalité multiple incarnant aussi bien un bilatéral qu’un pro-palestinien ou un ultra-sioniste. Peu à peu elle reconstruit concrètement pour nous la maquette de cet endroit bouillant, nous raconte son effervescence, ses blessures meurtrières d’un côté comme de l’autre, les histoires personnelles s’entremêlant avec celle des statuts religieux, les avis confidentiels avec les lois étatiques, les absurdes interdictions avec les attentats d’extrémistes, les contrôles abusifs, les jets de pierres, les balles tirées, les couteaux réels ou fictifs, les injustices et les quantités d’humiliants check-points.
Elle s’active autour de cet endroit, affirmant qu’il lui appartient, ce lieu schizophrène, écartelé entre les généalogies. Elle bâtit cette rue et raconte, nous rappelant constamment qu’elle est notre guide et seulement cela, en distribuant cafés, prospectus, artisanat local et glaces réconfortantes. Elle nous rend présents, inclus dans ce bouleversant imbroglio. La chaleur augmente, les clameurs de la rue s’élèvent, de la fumée enveloppe ce fac-similé tragique et magnifique de H2, une explosion nous fait sursauter. C’est la vie ici.
Nous, européens privilégiés, sommes souvent confondus par cette Histoire poignante, dramatique et compliquée. Sortant de la représentation, secouée par cette expédition aussi séculaire que contemporaine, j’ai acheté un petit livre « La Palestine expliquée à tout le monde » de Elias Sanbar. Juste démêler moi-même un peu de cet écheveau sibyllin. Juste rester encore un peu avec eux, les souffrants d’Hébron.
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Dans la ville d’Hébron, cohabitent 200 000 palestiniens et 850 juifs protégés par autant de soldats de l’armée israélienne. Le nom de la ville n’a pas de racine commune avec le mot « hébreux », mais provient de la racine du vocable « ami ou alliance » et en arabe « ami privilégié ».
Classé par l’UNESCO comme patrimoine mondial en danger, le Tombeau des Patriarches y est inscrit depuis 2017. Cette décision est décriée par l’Etat Israélien car il est nommé comme étant un site palestinien.
Un exemple parmi des dizaines d’autres des « difficultés » rencontrées par la population:
Le quartier n’a pas été relié au système municipal des égouts. Les fosses septiques doivent être vidées tous les quelques mois, mais les véhicules n’ont pas l’autorisation d’entrer – ou alors uniquement en coordination avec l’Administration civile. Depuis des années, les riverains demandent à la municipalité d’envoyer un camion citerne pour vider les fosses septiques. Les responsables ont déclaré qu’ils ne pouvaient coordonner la chose avec les israéliens, de sorte que les familles s’en chargent elles-mêmes. Elles utilisent une pompe connectée à une petite génératrice et à un tuyau et répandent le contenu dans leur cour. Cela prend deux jours au lieu de deux heures avec un gros camion citerne. Le Coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires dit qu’aucune requête n’a été reçue en vue de permettre l’entrée d’un camion citerne et qu’une telle requête serait normalement acceptée.

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