« Le livre d’image » de Jean-Luc Godard § Histoires de Godard

KEYSTONE/JEAN-CHRISTOPHE BOTT

Vous nous invitez dans votre intérieur, merci. Evidemment, on en sort sonné, le moins qu’on puisse dire, c’est que vous nous avez ébranlé. La séance terminée, malgré ce décor méticuleusement élaboré pour que nous nous sentions confortables, nous sommes soulagés. Soulagés de ne plus être exposés à cette violence, à cette fureur, celle qui pourtant, règne assourdie au centre de notre quotidien. Les tapis d’Orient confortables et rassurants, qui recouvrent le sol, ceux que l’on rencontre dans toute bonne maison bourgeoise, sont plissés, disposés pour nous faire trébucher. Le malaise que vous avez créé en nous, nous désirons l’oublier, comme on le fait des actualités télévisées, des articles des journaux, des documentaires alarmistes. Mais voilà, on ne se débarrasse pas aussi facilement de l’art. La forme cinématographique que vous avez inventée est prégnante. Vos images ne font qu’évoquer, elles ne démontrent pas. Votre voix ne fait que suggérer, elle n’explicite pas. C’est ce qui déclenche la pensée. Et l’éclat fracassant des bombes à nos oreilles est si proche… Tel un Goya contemporain, vous nous exposez à la laideur en la magnifiant. Votre oeuvre chuchotée est un poème hurlé à nos consciences éteintes. Même les couleurs sauvages et fauves dont vous avez peint votre film sont tonitruantes. Ces bribes de notre monde, issues du cinéma, d’internet, de la télévision, brossent un tableau violent qui nous agresse et nous remue. Il est parcouru de fulgurantes beautés et d’une Arabie heureuse. Vous l’avez créé consciencieusement, y instillant votre art, louvoyant d’ellipses en éclairages, de documents en fictions, vous, Jean-Luc Godard, créateur incompris par un public gavé d’images où se mélangent futilité et écrasante réalité. Oui, Bécassine se tait, faut-il vraiment que les maîtres du monde s’en méfient? Comment se frayer un passage dans cette foule dense et sévère refusant de « Laissez passer » ceux qui la dérangent, qu’ils soient clairvoyants ou ravagés. Une foule où chacun rêve d’être roi plutôt qu’un Faust visionnaire, exposé aux questions inconfortables. Vous lui offrez ces fragments d’authenticité comme un cadeau qu’elle aimerait ignorer, trop occupée à son égoïste et aveugle tâche. Vous parlez « d’espérance immuable » et cela vous fait tousser. Alors dansons maintenant. Jusqu’à la chute. Inéluctable?

©CasaAzulFilms-EcranNoir

« (…) On dirait un mauvais rêve écrit dans une nuit d’orage

Sous les yeux de l’occident

Les paradis perdus

La guerre est là… »

Jean-Luc Godard

©CasaAzulFilms-EcranNoir

« Le livre d’image », un film de Jean-Luc Godard, assisté de Fabrice Aragno et Jean-Paul Battaggia. Archéologie: Nicole Brenez.

Projection au théâtre de Vidy du 16 au 30 novembre 2018.

Exposition au Château de Nyon (VD, Suisse) jusqu’au 13 septembre 2020. L’exposition, imaginée avec le cinéaste dans un dialogue amorcé il y a deux ans, reprend le découpage du film et fragmente, explose encore davantage chaque partie de l’œuvre, tant du point de vue sonore que visuel, en insérant de l’espace et du temps entre ces dimensions.

« Si mettre en scène est un regard, monter est un battement de cœur. Prévoir est le propre des deux ; mais ce que l’une cherche à prévoir dans l’espace, l’autre le cherche dans le temps. » JLG(Cahiers du Cinéma, décembre 1956)

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Et aussi, à voir en DVD (Gaumont 2007), confortablement installé chez soi,  « Histoire(s) du cinéma ». Commencé en 1988, Jean-Luc Godard a mis dix ans pour le terminer. Le film est constitué de collages de centaines de citations visuelles et littéraires. Il dure plusieurs heures. Dans la même veine que le « Livre d’image » (84 mn), mais sans la contrainte du lieu de l’installation visuelle et sonore de ce dernier, voir « Histoire(s) du cinéma » en plusieurs fois permet de savourer son fil conducteur en toute liberté. Le rayon cinéma de votre bibliothèque le propose peut-être?

Lire l’article qu’a consacré le journal Le Temps à la carrière et la personne de Godard, ici.

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