« Chronological » de Yasmine Hugonnet § faux souvenirs

Photo Anne-Laure Lechat

Au théâtre de Vidy, Lausanne, du 6 au 10 novembre 2018, puis les 3 et 4 avril 2019.

Avec Ruth Childs, Audrey Gaisan Doncel, Yasmine Hugonnet.

Yasmine Hugonnet (1979), chorégraphe suisse, entame très jeune des études en danse contemporaine au Conservatoire national supérieur de Paris. Après plusieurs voyages formateurs, elle fonde sa compagnie Arts Mouvementés à Lausanne en 2010. « La Ronde/Quatuor », création de 2016, est présentée aux Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-St-Denis, à la Biennale de danse de Venise 2016 et au Palazzo Fortuny de Venise en 2017.

Une galaxie mouchetée recouvre le sol de la scène aménagée de deux gradins, le plus haut face au public. Un espace métaphysique, un lieu intemporel où les trois interprètes,  vêtues de jeans et T-shirts, nous emmènent explorer la notion mouvante du temps. C’est tout d’abord le terme lui-même de « CHRO NO LO GI CAL » qui est investi par leurs voix ventriloques. Visages impassibles, seuls les mouvements des bras marquent une cadence, simultanément aux variations vocales. Comme un choeur tribal ininterrompu issu d’une mémoire ancestrale.

Tempos et fluctuations d’intensité vocale sur le son « a » proposent un reflet de la malléabilité de l’image temporelle. Les deux récitantes, côte à côte sur le devant de la scène, sont immobiles, telles deux piliers immuables. L’entre-deux, écart essentiel, est investi par la troisième et agit imperceptiblement sur l’immobilité apparente des deux autres. Le corps de celle qui l’incarne sera utilisé comme lien horizontal ou boucle oscillante.

Vient une partie où Yasmine Hugonnet, seule en scène, alterne lentement les postures, le haut du corps penché, variant les points d’appui, créant de délicats équilibres. Dans le plus grand silence du présent suspendu.

Soudainement, l’entrée en scène de ses partenaires nous projette dans un nouveau monde, celui du passé, évoqué par la nudité originelle pour l’une, une lourde robe du XVIe siècle et sa fraise pour l’autre. Tenue que revêt aussi la troisième. Se succèdent alors différents tableaux, induits par les attitudes de ces trois femmes improbablement liées, de superbes images picturales qui incitent à des réminiscences de choses vues ou sues, vécues peut-être, en des vies antérieures.

Photo Anne-Laure Lechat

L’une s’étant libérée du carcan de sa robe demeure allongée, nue, tandis que l’autre la revêt, psalmodiant une langue morte sans mouvement de lèvres. Imitant ses gestes et ses attitudes, la troisième est contemporaine.

Le temps, celui qui passe, qui est déjà passé, l’empreinte des instants qu’il nous abandonne, l’impossible question de la durée, de l’avant et de l’après, la fugacité du présent. Quelles meilleures démonstrations pour cette notion si impénétrable qu’est le temps que celles produites par le mouvement et la voix?

L’insaisissable moment de théâtre que l’on ne peut revoir qu’en notre faillible mémoire…

§

La notion humaine de temps est irrémédiablement liée à la mémoire, au souvenir, aux traces du passé, puisque le futur est peu prévisible. Notre histoire personnelle ainsi que la grande Histoire peuvent ainsi être sujettes à de faux souvenirs. Ces créations artificielles de souvenirs peuvent provenir d’une mauvaise interprétation que nous avons nous-même produite, mais aussi avoir été induites par un ou des tiers et implantées dans notre cerveau.

Plus on se remémore un événement et plus on le modifie. L’acte de remémoration est en vérité un acte de création. Conséquence fondamentale : le souvenir n’est pas fiable. Tobie Nathan

L’oeuvre singulière de la plasticienne Tatiana Trouvé interroge elle aussi le temps et l’espace.

Tatiana Trouvé, Biennale de Lyon 2015.

 Tatiana Trouvé s’intéresse à ce que serait une mémoire des objets et des lieux, une mémoire qui déforme la réalité, qui l’amplifie ou la réduit. (…) Tout comme l’écho rapproche par la répétition et la distorsion de la voix deux espaces séparés physiquement, les sculptures de Tatiana Trouvé condensent et rassemblent plusieurs temporalités. Trois types de temps sont ici réunis en un même objet : le temps de la visite de l’exposition, le temps de l’exposition elle-même et celui de l’ascenseur qui est suspendu. Trois temps auxquels nous pourrions ajouter celui de la mémoire du visiteur. (source)

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