De la représentation de la violence au théâtre

 

Trois tragédies, drames humains, ignominies, crimes abjectes. Le théâtre offre cela, l’artistique examen circonstancié des faits. Devant nos yeux, la constitution de la violence devient tangible. Produisant cet effet percutant, viscéral, de par l’incarnation vivante des comédiens, ainsi que de l’âme bouleversée, mais circonspecte d’un.e metteur.e en scène, le théâtre, la plus ancienne forme d’art de l’humanité, nous projette en pleine face nos délires humains ancestraux et immuables.

THYESTE de Thomas Jolly, c’est l’histoire antique d’après Sénèque des jumeaux Thyeste et Atrée, dont le premier trahi le second, lui volant sa femme Erope et son royaume. Démasqué, banni, il se laisse convaincre de se réconcilier avec son frère qui feint de lui pardonner pour mieux se venger en lui faisant dévorer ses fils. CONVULSIONS de Frédérique Fisbach, texte de Hakim Bah, reprend la même histoire, la transposant à notre époque, y ajoutant des particularités contemporaines. LA REPRISE de Milo Rau relate un fait divers sordide et abominable, un crime raciste et homophobe qui s’est réellement produit en 2012.

Les deux premiers parlent de vengeance, le troisième d’imbécilité. Les trois nous plongent dans la désolation du mal et l’horreur dont est capable l’être humain.

Comment ces trois metteurs en scène talentueux ont-ils choisi de représenter cette violence?

Pour Thyeste, la scène du Palais des papes, par son décor, en exprime déjà les origines. La tête monumentale hurlante représente pour moi la pensée, la conception du mal. La main crispée serait l’acte lui-même dans sa brutalité. Aussi bien, peuvent y être vues les conséquences de la violence, souffrances et tourments. Le texte de Sénèque décrit le cheminement de la pensée vengeresse d’Atrée ponctué dans la pièce par des effets évocateurs, comme le son d’essaim et l’envol des papillons noirs. La scène du meurtre des fils de Thyeste n’est pas représentée, c’est le texte dit par Atrée qui nous la suggère. Lors du banquet où Thyeste, encore ignorant, mange ses fils, l’ignoble violence factuelle est établie. Cette mise en scène, à la fois populaire et exigeante, est la signature du génial Thomas Jolly.

 

Pour Convulsions, la pièce débute dans l’obscurité et c’est le dialogue de Thyeste et d’Atrée en train de torturer et d’assassiner leur demi-frère que l’on entend sous forme de didascalie. La violence est dans l’atrocité des propos et des scènes qu’ils suggèrent aux spectateurs, horrifiés par des actes décrits avec précision. Plus tard, un homme armé, mais très calme, indique une violence latente qu’Erope tente de canaliser tandis qu’Atrée est inconscient du danger. Plus tard encore, le crime d’Atrée envers le fils de Thyeste se retourne contre lui-même, s’avérant que l’enfant est le sien. Presque de l’humour dans cette tragédie et surtout la démonstration de l’inutilité crasse de la vengeance.

 

Pour la Reprise, Milo Rau choisit de rendre intelligible au public la théâtralité de la violence qui aura lieu sur le plateau en lui démontrant les trucages utilisés ultérieurement dans la pièce. Il lui présente aussi l’humain qui est derrière le comédien. Pourtant le crime sera joué sous nos yeux, un déchaînement de férocité qui lie immédiatement le spectateur à son empathie pour la victime.

 

De ces trois spectacles, l’un m’a enchantée par la férocité de son texte et la magnificence de sa scénographie, le second m’a horripilée et envahie d’un malaise persistant (c’est bien la seule fois où j’ai été incapable d’applaudir ces comédiens pourtant excellents), le troisième m’a bouleversée et émue aux larmes.

A la télévision, la réalité de la violence apparait régulièrement au moment des informations. Pour les habitués que nous sommes, elle ne nous parait proche que si sa géographie l’est. La violence des séries policières qui foisonnent et ne persistent qu’en multipliant les meurtres nous est devenue si familière que les perversions qui nous sont décrites ne nous surprennent même plus.

J’adore le cinéma où la diversité des sensations, pour peu que l’on choisisse un.e réalisateur.trice subtil.e, peut évoquer la vie avec finesse et sagacité. Cependant le piège du voyeurisme populiste l’entraîne trop souvent dans des successions de scènes sanglantes et gratuites qui façonnent l’oeil et l’endurcissent.

Il n’y a véritablement que le théâtre pour me faire ressentir mon humanité avec une telle puissance.

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