« En manque » de Vincent Macaigne § illusions perdues?

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Dans son habit de lumière scintillant, elle nous invite à la suivre, dehors, dans l’obscurité éclairée par un ou deux techniciens. Là, face au lac, elle hurle son histoire dans un porte-voix : elle a acheté toutes les oeuvres d’art, Madame Burini, pour les mettre à disposition du peuple de la vallée, dans sa fondation. Elle dit à chacun de nous qu’elle l’aime et nous y fait pénétrer. Ce sont des reproduction du Caravage (la beauté sanglante du passé?) qui nous accueillent à l’intérieur de ce White Cube qui ne restera pas blanc bien longtemps : nous sommes dans l’univers démesuré de Macaigne et nous ne perdons rien pour attendre. Obstruons nos conduits auditifs pour commencer.

en_manque_ii_225mathildaolmiQue le brouillard nous submerge, que la lumière nous aveugle, que les basses affolent nos cages thoraciques, que les comédiens se malmènent et nous avec, que s’installe le chaos et la destruction!

Et Liza, sa fille, nous raconte sa pauvre existence en se marrant, d’une voix brisée. Son manque d’amour qu’elle enfouit sous une feinte légèreté, la cruauté psychologique dont elle a été l’objet et ses bleus à l’âme qu’elle a maquillés avec son amour pour une simili Che Guevara féminine. Celle-là même qui va tuer sa mère, nous a-t-elle annoncé dans un rire qui n’y croit pas ou qui s’en fout.

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©MathildaOlmi

Le bruit et la fureur s’installent tout au long de la représentation. C’est le monde, notre monde qui hurle son manque à nos oreilles. Venez danser sur la piste, venez oublier vos drames et ceux des autres, étourdissez-vous pour oublier! Si ceux d’en-haut mènent le bal, ceux d’en-bas en redemande. Que ne ferait-on pas pour oublier la tragédie humaine.

Ou une renaissance pourrait-elle nous sauver? retrouver la sécurité liquide de l’utérus maternel, rompre à nouveau cette poche et se déverser avec l’eau amniotique pour tout recommencer…

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©MathildaOlmi

La violence du spectacle est à la mesure de ce que l’on peut ressentir face à ce que nous dévoile quotidiennement l’actualité. Notre société, où la communication est toute puissante, ne nous offre aucune issue d’actions réparatrices. La culpabilité de ne rien intenter nous envahit. Dès lors, vers qui ou vers quoi tourner notre rage? Par qui ou par quoi remplir notre vide? Certains se réfugient dans des idéologies mortifères…

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IL EST DESESPERANT D’ETRE NOUS

Alors oui, ce spectacle est inconfortable, dérangeant, certains passages sont même désagréables (long, trop long moment d’interpellations du public pour danser sur une musique assourdissante). Il est à l’image du monde. Et la démesure de Macaigne y trouve son sens.

Nous sommes sorti de l’univers, dépourvu de solution, de Vincent Macaigne en nous questionnant : « Mais…qu’est-ce qu’on a vu? ».

Un fouillis, le fouillis de l’humanité bruyante, violente, aimante, révoltée et impuissante.

Un article ici sur le précédent spectacle de Vincent Macaigne au théâtre de Vidy et le dossier de presse de ce spectacle ici.

Ne pas faire un spectacle sur l’actualité. Mais sur notre profondeur noire et lumineuse. Notre amour et notre intimité dans le Monde. Notre colère et notre crainte de l’avenir. Notre culpabilité et notre chemin accompli. Ne pas résoudre les paradoxes et les contradictions. Essayer d’être plus grand que le cadre. Vincent Macaigne

Le scénario original de Macaigne évoque un monde d’en-haut opposé à celui d’en-bas. Quels sont-ils, ces mondes? ceux des dominants et des dominés? ceux des différentes générations? Ceux des pauvres et des riches? des intellectuels et des manuels? Ceux de notre noirceur et de notre lumière? Autant de questions à se poser sur la grande comédie humaine…

Comme ce que l’on a pu entendre du ministre Raffarin sur la supposée « France d’en-bas ». Mais le premier a utiliser cette expression fut Honoré de Balzac dans « Les illusions perdues« , triptyque qui fait partie de la Comédie humaine : « En haut, la noblesse et le pouvoir, en bas le commerce et l’argent ; deux zones sociales constamment ennemies en tous lieux ; ainsi est-il difficile de deviner qui des villes hait le plus sa rivale.».

Un article de Didier Hassoux en 2002 à ce sujet dans le journal Libération ici.

Désignant une fracture sociale et politique, cette dénominations énonce surtout l’incompréhension mutuelle entre les élites et la population.

XIR346542 Lucien de Rubempre overwhelmed with sorrow, illustration from 'Les Illusions perdues' by Honore de Balzac (engraving) (b/w photo) by French School, (19th century); Bibliotheque Nationale, Paris, France; (add. info.: Lucien Chardon accable de douleur; 'Lost Illusions' by Balzac (1799-1850); part of La Comedie Humaine; written between 1837 and 1843; lives in Angouleme; hopes to make his mark as a poet in Paris; E.L., artist Emile Lassalle (1813-71) ?; B.N.Z. 7765); Giraudon; French, out of copyright
Illustration pour ‘Les Illusions perdues’ d’Honoré de Balzac. Ecole française, (19e siècle); Bibliothèque Nationale, Paris.

13 réflexions sur “« En manque » de Vincent Macaigne § illusions perdues?

      1. Je viens en train malheureusement. Je pense que j’attendrai en gare de Lausanne mon train de 6h47 mardi matin, ce sera plus simple car les hotels sont soit trop loin soit trop onéreux…

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  1. Merci beaucoup Culturieuse pour cet article magnifiquement présenté. Voilà des spectacles qui doivent sûrement prendre aux tripes. Ce sont des cris de vie sublimés. J’ai visionné aussi les vidéos et j’aurais bien aimé les découvrir. Je te souhaite de passer d’excellentes fêtes de fin d’année ! 🙂

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  2. Il ne suffit pas de tout casser pour être un génie ! Des idées assez courtes, un texte faible…la reprise à la Villette ne m’a pas convaincu…beaucoup de bruit pour pas grand chose !

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