Tacita Dean (1965) / Donald Crowhurst § « La vie très privée de Mr Sim »

 

dean1Tacita Dean est une artiste plasticienne britannique, née dans le Kent. Les médias qu’elle a choisi sont la photographie, le dessin, l’installation et le cinéma analogique. Elle a étudié dans les années 90 à la Slade School of Fine Art. Elle vit et travaille à Berlin.

Son grand-père fut producteur de théâtre et fondateur des célèbres Ealing Studios (les plus anciens studios de production cinématographique). Elle s’installe à Londres en 1997, est finaliste du Turner Prize en 1998 et expose à la Tate Britain dès 2001.

Entre fait réel et fiction, passé et présent, son travail demeure fort mystérieux. L’entropie, comme chez Robert Smithson dont elle admire le travail, l’intéresse beaucoup. Cette usure due au temps, Tacita Dean l’étudie non seulement sur les objets et la nature, mais aussi par la narration de parcours de vie qui mettent en évidence la fragilité humaine.

_0000_3Tacita Dean s’intéresse aussi au thème de la mer, de sa puissance, de son mouvement.

Dans un livre composé de photographies, d’essais, d’anecdotes et d’analyses, elle réinterroge la tragédie de Donald Crowhurst, un homme d’affaire britannique proche de la faillite. Un livre fait d’associations d’idées, mêlant passé et présent, citant Bowie, Saint-Exupéry ou Brian Jones. « Quand quelqu’un disparaît en mer, son bateau est sa dernière incarnation »dit-elle.

Marin amateur, Donald Crowhurst s’inscrit à une course non-stop en solo autour du monde (Golden Globe Race) en 1968 dans le but de renflouer ses finances en la remportant. Réalisant dès son départ qu’il n’y parviendrait pas, il communique de fausses positions le désignant comme leader pendant les neuf mois que dure la course. Enfin, acculé par le temps et les attentes du monde, proche de la folie, il met fin à ses jours en se jetant dans l’océan.

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Donald Crowhurst © Getty Images Paul Popper/Popperfoto

La durée, la nature du temps qui s’écoule et ses effets sur la Nature, Tacita Dean ne cesse de tenter de les filmer. En analogique, 16 ou 35 mm pour son aspect artisanal et sa conservation.

Déjà en 1997, lors d’un voyage en Utah, Tacita Dean livrait une œuvre sonore intitulée Trying to Find the Spiral Jetty. En 2013, son film JG  (26 mn), évoque la temporalité au travers de digressions sur cette oeuvre de Smithson. Elle entretient une correspondance avec l’écrivain britannique JG Ballard dont la nouvelle « The voices of time » (1960) aurait pu inspirer Smithson. Le livre a en effet été retrouvé parmi ses affaires après sa mort. Voir JG sur Critique d’art

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Image extraite du film J.G. tourné en 35mm. Galerie Marian Goodman, Paris, New York.
“Both works have an analog heart, not just because they were made or written when spooling and reeling were the means to record and transmit images and sound, but because their spiraling is analogous to time itself. (… la  forme en spirale des deux oeuvres est analogue au temps) » TD
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Images tirées du film JG de Tacita Dean. Galerie Marian Goodman, Paris.
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Tacita Dean, « Fatigues » 2012. Un/six pièces. Craie sur tableau noir.

Dessiner à la craie sur un tableau noir est une démarche poétique qui implique une fragilité, une impermanence. Ce paysage monumental des montagnes afghanes semble en mouvement. La fonte des neiges provoque la montée des eaux, la montagne, aussi majestueuse et puissante semble-t-elle, n’échappe pas aux transformations du temps. Tacita Dean en fait le storyboard.

Aerial View of Teignmouth Electron, Cayman Brac 16th of September 1998 2000 Tacita Dean born 1965 Purchased 2000 http://www.tate.org.uk/art/work/P78389
Tacita Dean, « Aerial View of Teignmouth Electron, Cayman Brac 16th of September 1998 », 2000 http://www.tate.org.uk/art/work/P78389

Observer le passé pour questionner le présent et le futur. Voilà une démarche intéressante puisque, souvent, il explique bien des choses que ce soit à petite ou grande échelle. L’histoire de Donald Crowhurst sert en quelque sorte de support au livre de Jonathan Coe « La vie très privée de Mr Sim » (traduit par Josée Kamoun). L’auteur, à l’image de l’oeuvre de Tacita Dean (dont il est fait mention dans le texte), brouille les cartes du temps, de la vérité et de l’imposture, dans ce roman à la fois drôle, émouvant et profondément humain. La personnalité de Mr Sim, d’une apparente banalité, s’enrichit au fil de l’histoire pour nous devenir terriblement attachant. Développant habilement les récits dans le récit, de révélation en révélation, de rencontres en lectures, l’auteur permet à Mr Sim de découvrir les fondements de son mal-être. Jonathan Coe joue avec lui comme avec le lecteur dans une mise en abîme très habile. Les questions de l’estime de soi, de l’héritage, du secret, de la solitude sociale sont explorées avec un humour british délicieux et caustique.

imagesExtrait : « Si nous vivions tous dans un parfait bonheur, sans conflits, sans tensions, sans névroses, sans angoisses, sans problèmes irrésolus, sans injustices monstrueuses tant sur le plan personnel que politique, sans rien de toutes ces saletés, alors les gens qui courent chercher des consolations dans des histoires n’auraient plus besoin de le faire, n’est-ce pas ? Ils n’auraient plus du tout besoin d’art. C’est pourquoi je n’en ai pas besoin, moi, et vous non plus, désormais ».

Le roman a été adapté au cinéma par Michel Leclerc avec Jean-Pierre Bacri. Un film assez fidèle avec l’acteur rêvé pour ce rôle de désabusé pathétique et attendrissant.

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Tacita Dean, « The Sea, with a Ship, Afterwards an Island » [Detail], 1999. Chalk on blackboard

17 réflexions sur “Tacita Dean (1965) / Donald Crowhurst § « La vie très privée de Mr Sim »

  1. Comme toujours sur votre blog, je découvre, je suis épaté, j’apprends. J’ai également vu ce film, qui m’a emporté dans ses méandres. Grâce aussi à l’interprétation magistrale de Bacri.

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      1. j’aime beaucoup Bacri, mais comme j’ai beaucoup aimé le livre qui, lui, se passe en Angleterre,- et à mon avis ça change considérablement l’atmosphère – , j’hésite

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  2. Merci pour ce très intéressant chassé-croisé culturel 🙂
    J’ai retweeté et j’ai également ajouté un lien vers votre article sur Lectures au Coeur, au bas de ma chronique Ciné sur le film de Michel Leclerc : La vie très privée de Mr Sim.

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  3. J’ai lu le livre et vu le film. J’avoue que Bacri ne démérite pas, mais je n’ai pas retrouvé l’ambiance qui se dégage du livre et l’effet de surprise de la fin. Merci beaucoup pour le partage Culturieuse ! 🙂

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