Mingjun Luo (1963) § identité/repas

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http://www.luomingjun.com/

Le musée de Pully, endroit serein, empreint de douceur et de tranquillité, expose les oeuvres de Mingjun Luo jusqu’au 15 mai 2016. De cette artiste, nous avions, mon amie Marie et moi, repéré une toile lors de l’expo « des seins à dessein » en faveur du cancer du sein (Lausanne, 2015). Une toile représentant une femme dans un environnement flou et imprécis, toute de blanc vêtue, à demi retournée pour jeter un regard derrière elle. Un grand format pour une puissante délicatesse.

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Mingjun Luo, « Il était une fois », 2012, huile sur toile, 190 x 240 cm

On pourrait penser que c’est l’histoire de la femme représentée sur cette grande toile qui est racontée à Pully.

Mingjun Luo est née en Chine et a obtenu son Bachelor of Arts en 1983 à l’Université chinoise de Hunan. Lors d’un voyage organisé par l’état chinois, elle rencontre au Tibet un jeune touriste suisse, celui qui va devenir son mari. Depuis 1987, ils sont installés à Bienne où elle travaille. Sa nationalité chinoise, elle l’a perdue en devenant suissesse par mariage. Une rupture émotionnelle qu’elle exprime par son travail artistique.

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© Mingjun Luo, galerie@galerielinder.ch

Les toiles foncées sont peintes avec du blanc, quant aux dessins sur papier, c’est le processus inverse: la mine de plomb interprète avec légèreté et le fond blanc du papier exprime la lumière. Le vide a donc autant d’importance que le plein du motif peint ou dessiné.

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Mingjun Luo, « Quitter », 2011, huile sur toile de lin, 190×240 cm.

Entre ombre et clarté, des images se devinent, plus ou moins nettement, subtilement transparentes. Elles ont l’ambigüité du souvenir et semblent fugaces. L’entre-deux qu’elle a découvert, entre la Chine de ses jeunes années et la Suisse de sa maturité, est l’objet de son art. Ce troisième espace-temps qu’elle transpose avec une magnifique cohérence dans cette exposition, que ce soit en peinture, dessin ou vidéo.

 «Comme beaucoup de personnes à la double culture, je ne suis plus complètement Chinoise en Chine, ni totalement Suissesse en Suisse. Mais c’est comme ça, je suis et dois accepter d’être dans cet entre-deux. Défini comme un troisième espace, il me permet de m’installer avec mon esprit, de continuer, de m’enraciner avec mon art.» ML

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Mingjun Luo, « Introspection », huile sur toile, 55×70 cm. Première partie d’un tryptique, 2014.

Un troisième espace qui peut devenir vertigineux lorsqu’elle peint de façon réaliste comme ci-dessus. Peindre la photographie de son reflet. C’est le premier volet du tryptique, le second est le même en noir/ blanc et son image a disparu du troisième.

file6p2u4dfjykwxz06phrnAnciennes photos et documents officiels sont devenus entre ses mains les supports de l’insaisissable, de l’éphémère, du souvenir évanescent. Les déflagrations agaçantes que l’on entend appartiennent à une vidéo (« Pouvoir », 2015) qui montre le tamponnement incessant de documents. L’identité est-elle vraiment à la merci d’un tampon?

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Mingjun Luo, « Bombes sucrées », 2016, sérigraphie, 120/110 cm.

La « chambre à broder », une des salles du musée complétement investie, nous emmène dans l’univers de l’artiste en tant que jeune fille chinoise sous le régime de Mao, là où le rêve domine.

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Mingjun Luo, « Dans un lieu lointain un nuage te manque », 2014, 190×240 cm.

La visite de l’exposition, un véritable voyage entre deux espaces, s’achève dans une salle nue où est accrochée cette simple toile, ce nuage, présent mais inatteignable, fragilement effiloché. Ici et maintenant.

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Mingjun Luo, parfaitement intégrée en Suisse, mère de deux enfants adultes, témoigne dans son travail de la difficulté d’accepter la perte d’une identité d’origine. Toute expérience migratoire commence certainement par un état de non-appartenance. Une situation déchirante qui entraîne une perte de repères et donc de la peur.

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Mingjun Luo, « Dîner », mine de plomb, 30x42cm. 2012

Les rituels aident à trouver un équilibre émotionnel. Celui du repas, regroupement familial ou amical, apporte un réconfort qui n’est pas seulement celui du ventre. La convivialité d’un repas, c’est partager et consolider des liens, c’est aussi apprendre le comportement socialement adéquat à une culture.

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Mingjun Luo, installation (riz, patate), 2012. Photo© Colette Ramsauer

Un repas en commun, c’est bien plus que manger : c’est aussi échanger, créer et consolider des liens et des amitiés, enseigner et apprendre. (tradition du repas familial)

Un article de Fong-ming Yang sur  » repas et immigration chinoise » datant de 2012.

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12 réflexions sur “Mingjun Luo (1963) § identité/repas

  1. L’artiste n’est-il pas nécessairement entre deux… ? Entre lui ou elle et nous, une passerelle entre le monde réel et imaginaire. J’ai longtemps vécu à l’étranger (usa) et ma femme américaine encore plus longtemps en France. Alors je ressens très justement ce qu’elle éprouve. Ces œuvres sont remarquables et votre article, fouillé et rigoureux. Merci pour cette découverte.

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