
Au théâtre de Vidy, Lausanne jusqu’au 13 mars 2016. http://www.vidy.ch/
Lorsqu’il a demandé « Que celui qui veut défendre le théâtre contemporain lève la main! », il n’a pas fait de pause, n’a pas voulu en découdre avec le public cette fois, a continué son discours, tirant sur l’avant-garde à boulets rouges. Rouges du sang de l’Idiot, parce que nous aurions dû nous aimer aussi dans cette « Mouette ». Sensée être libre et ignorer les frontières, mais irrésistiblement attirée par le lac.
Saviez-vous que Anton Tchekhov (1860-1904) était très engagé socialement? Thomas Ostermeier dit de lui qu’il serait maintenant un human rights activist ou travaillerait pour une ONG. Il fonde des dispensaires, des écoles, des bibliothèques. Médecin, il soigne des milliers de personnes précaires. Il entreprend en 1890 un voyage sur l’île-prison de Sakhaline, pour visiter, soigner et recenser la population de captifs (environ 10000 âmes) et témoigne de l’enfer de la réalité quotidienne de ce bagne inhumain, ce qui donnera lieu à une commission d’enquête du ministère de la justice.
Pourtant « La Mouette »(1895, télécharger le texte ICI ) décrit une société bourgeoise qui semble ignorer la politique. A peine entend-on Medvedenko se plaindre de son maigre salaire d’instituteur qu’il est interrompu négligemment. Ostermeier, lui, fait passer la pièce par une anecdote mettant en cause un chauffeur de taxi/médecin syrien et attire l’attention sur une actualité politique.

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Le jeune écrivain Konstantin monte sa dernière création théâtrale, qu’il espère révolutionnaire. Elle est jouée par l’objet de ses désirs, la jeune Nina qui rêve de gloire. Parmi les invités, un célèbre écrivain, Trigorine, et une actrice reconnue, Irina, mère du jeune écrivain. La mise en scène de Thomas Ostermeier montre la pièce que présente Konstantin à cette distraite assemblée, à la manière du théâtre de Castellucci : nudité, projection vidéo, animal, sang, son de moteur intense…Elle se révèle conceptuelle, proche de la performance et sera donc raillée par ces adeptes d’un art classique ou conventionnel. Elle offre pourtant une énergie extraordinaire à ce premier acte, comme le dit Dorn, le médecin : « votre pièce m’a énormément plu. Elle est un peu étrange, je n’en connais pas la fin, et pourtant elle m’a fait une forte impression. »
Et là, déjà, le destin de ces deux personnages est dévoilé. A grands coups d’images fortes. La jeune Nina est une martyre ligotée au pilori, Konstantin l’ambitieux, celui qui veut révolutionner le théâtre, se recouvre volontairement de sang, préfiguration de sa souffrance, puis de son suicide.
Le théâtre contemporain, l’avant-garde, anticipe la vie. Il choque, mais il est l’image de la réalité.

» (…) Alors pourquoi ne pas choisir une pièce ordinaire, au lieu de nous régaler de ce délire décadent ? Je veux bien écouter délirer quand il s’agit d’une plaisanterie ; mais cette prétention à des formes nouvelles, à une nouvelle ère artistique, merci !(…) » s’écrie Irina.
Par sa mise en scène, Thomas Ostermeier a choisi de mettre l’accent sur les thèmes de l’amour, dont il questionne les possibilités (physique, passionnel, oedipien…) et du théâtre (son histoire et l’antagonisme récurrent classique/contemporain). Il fait teinter, comme à son habitude, la résonance contemporaine de ces thèmes.
(…) je ne porte pas de jugement sur le fait que Treplev soit un génie révolutionnaire alors que Trigorine incarnerait la convention. Je regarde plutôt la pièce comme la confrontation entre ce qu’on est quand on démarre comme artiste, où l’on veut bouleverser les formes existantes, et ce qu’on devient en mûrissant, où le savoir-faire et la dimension humaine deviennent plus importants. (Thomas Ostermeier, Le Monde, 25.05.2016)
Son théâtre se veut proche de la vie réelle. Il travaille les situations avec les comédiens à partir de leur vécu, l’objectif étant un théâtre non-théâtral et des acteurs-créateurs. « Tout art doit partir de nos expériences de vie » dit-il.
Pour avoir une idée du travail de Thomas Ostermeier, lire le compte rendu de trois jours de répétitions sur le site du journal Le Monde : cliquer ICI
Le texte, traduit par Olivier Cadiot, est additionné des idées surgies lors des répétitions. Irina (Valérie Dréville) nous gratifie même de la lecture d’un extrait du « Plateforme » d’Houellebecq tout à fait à sa place. Les mélodies mélancoliques et rock des Doors ponctuent les quatre actes et la plasticienne Marine Dillard compose, par touches successives, un paysage sur le mur du fond. Une image se construit, une société se dessine.

Le deuxième acte voit Konstantin tuer une mouette, préfiguration de son prochain suicide, tandis que Trigorine s’intéresse à Nina et l’assimile à cette mouette, tuée par désoeuvrement. La vie est en marche. L’art et l’amour sont de douloureux tyrans. Et cette fois-ci, c’est Tchekhov qui anticipe les destins de ses personnages, et Ostermeier respecte l’écrivain en déroulant lentement le drame, à la manière du théâtre classique, jusqu’à la tragédie définitive.

Anton Tchekhov, en son temps, a oeuvré pour la défense des droits humains. Mais qu’est-ce qu’un activiste ou défenseur des droits de l’Homme au juste?
Leur action est, entre autres, de défendre les droits de l’Homme partout et pour tous: Les défenseurs des droits de l’homme interviennent à propos de toutes sortes de situations en rapport avec les droits de l’homme, par exemple les exécutions sommaires, la torture, les arrestations ou détentions arbitraires, les mutilations génitales féminines, la discrimination, les problèmes d’emploi, les expulsions forcées, l’accès aux soins de santé ou les déchets toxiques et leurs effets sur l’environnement. Ils défendent des droits fondamentaux aussi divers que le droit à la vie, à l’alimentation et à l’eau, au meilleur état de santé susceptible d’être atteint, à un logement convenable, à un nom et à une nationalité, à l’éducation, à la liberté de circulation et à la non-discrimination. Ils s’occupent parfois des droits de certaines catégories de personnes, par exemple les femmes, les enfants, les autochtones, les réfugiés et les déplacés ainsi que les minorités nationales, linguistiques ou sexuelles. ( cliquer sur le site des Nations Unies pour en savoir plus)
Te lire est toujours très intéressant, chère Culturieuse.
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Je te retourne le compliment 🙂
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