Billet d’humeur § Vrai théâtre?

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On ne badine pas avec l’amour, Alfred de Musset et Anne Schwaller

Hier soir, au Théâtre Kléber-Meleau, je suis allée voir « On ne badine pas avec l’amour », la pièce d’Alfred de Musset publiée en 1834. Un classique, ça fait du bien de temps à autre! A l’issue de la pièce, j’ai fait part à mon compagnon de mon plaisir d’entendre le verbe raffiné de cet auteur (malgré mon léger assoupissement durant une tirade), des belles idées scéniques de cette jeune metteuse en scène (Anne Schwaller), de ce décor somptueux. Nous partagions nos avis respectifs sur les comédiens (excellents par ailleurs), lorsqu’est parvenu à mes oreilles ce commentaire d’une spectatrice : « ça, c’est du VRAI théâtre! », ajoutant dans un rire moqueur « ..Pas comme là-bas…plus au sud… ».

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UNTITLED, Alessandro Sciarroni

Le « sud », c’est l’autre grand théâtre de Lausanne, celui de Vidy. Le nouveau directeur Vincent Baudriller y soutient une programmation contemporaine plutôt avant-gardiste. Une ouverture riche et questionnante.

Samedi dernier, nous y avons assisté à la prestation de Alessandro Sciarroni, UNTITLED. Du jonglage. Quoi de plus classique? Nos amis, des férus de théâtre, n’ont pas goûté au spectacle, n’y trouvant pas d’aspect véritablement théâtral. Pour ma part, aucun assoupissement, un éveil visuel et mental aiguisé et, immédiatement, des métaphores qui s’offrent à moi : L’isolement humain, son attention égocentrique, son besoin de se calquer au tempo ambiant, avec fracas, puis silencieusement, sa découverte de l’autre, ses tentatives d’union, ses ratages, ses réussites et enfin le partage, l’acceptation de l’autre.

J’en ai pourtant vu des jongleurs depuis ma petite enfance. Le cirque Knie en Suisse est une institution. Ce soir-là, le brio des jongleurs n’était pas le clou du spectacle et c’est mon état d’esprit qui m’a permis d’accueillir sa contenance théâtrale.

Il est vrai que quelques jours plus tôt Anne Teresa De Keersmaeker nous avait inoculé le germe (rythmique? corporel? obsessionnel? esthétique?) d’une prestation, non pas similaire, mais spirituellement proche.

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Fase, Anne Teresa De Keersmaeker

Apprécier ou pas une réalisation artistique, mais à quoi ça tient?  De quel droit pourrait-on qualifier de VRAI ce qui nous plaît en sous-entendant que le reste serait impropre?

Alfred de Musset (1810-1857) n’a pas vu sa pièce « On ne badine pas avec l’amour » jouée de son vivant. Il ne le souhaitait pas et écrivait pour la lecture depuis l’échec cuisant d’une de ses pièces. Aurait-il eu autant de succès à son époque qu’hier soir au TKM? Je me doute que son anticléricalisme affiché n’aurait pas forcément plu  aux spectateurs d’il y a 200 ans…Comme ceux qui ont été heurtés par cette fabuleuse création de Romeo Castellucci , certains sans même y assister?

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Sul concetto di volto nel figlio di Dio, Romeo Castellucci

On me rétorquera que tout est une affaire de goût . Vaste question que celle-ci! Comment nos goût personnels se forment-ils? Votre premier verre de vin était-il à la mesure de celui que vous choisissez aujourd’hui? Vos premières lectures ne vous ont-elles pas conduit vers une littérature plus exigeante? On peut être attiré par le classicisme, faut-il pour autant rejeter l’immensité de la création contemporaine?

Finalement, une des conditions recherchée par le spectateur n’est-elle pas liée à son propre CONFORT? Une pièce qui surprend, qui désarçonne ou qui rebute, est-elle pour autant vide de sens?

Le style de l’artiste (metteur en scène, plasticien, écrivain…) est ce qui nous amène à apprécier son travail. C’est lui, le créateur, qui va décider du degré de violence de son propos. Lequel peut paradoxalement être amené avec une certaine douceur et n’en restera pas moins percutant dans sa crue vérité. Comme dans ce livre, par exemple (à lire absolument):

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Illska, le mal

Alors, peut-on vraiment qualifier un art de VRAI, que ce soit en théâtre ou ailleurs?

La dérive des préjugés en matière d’art est une chose à laquelle il me semble que nous devons particulièrement prendre garde. Surtout face aux avancées des mouvements réactionnaires. Que pourrait bien signifier l’inverse d’un VRAI art? Un art dégénéré ? Cela ne vous rappelle rien?

On ne badine pas avec l’amour est une pièce romantique qui passe de la comédie au drame, qui passe du rire aux larmes.

Ne badinons pas non plus avec l’Art. 35B1692-466x700

« On ne badine pas avec l’amour » au Théâtre Kléber-Meleau jusqu’au 23 décembre 2015.

17 réflexions sur “Billet d’humeur § Vrai théâtre?

  1. On peut discuter ? non, Alfred de Musset n’a jamais été  » anticlérical  » !En ce qui concerne  » l’échec cuisant « … il s’est bien rattrapé depuis, et est constamment joué sur une scène ou une autre.
    J’ai vu plusieurs fois cette  » comédie « , et certains metteurs en scène ne savent pas la mettre en valeur. Les costumes gris et tristes ne me paraissent pas adaptés à l' »esprit  » du texte.
    Mais l’approche est différente lorsqu’on se trouve dans la salle.
    Je te souhaite d’autres beaux moments au théâtre ou ailleurs, entre les pages d’un livre…
    « Fantasio » bientôt à l’ouverture de l’Opéra-Comique, janvier 2016 à Paris… j’aime entendre évoquer  » les champs de bleuets « …
    Bon, joyeux Noël !

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    1. J’ai eu beaucoup de plaisir à assister à cette pièce, seule Camille était vêtue de gris. Et si Musset ne l’était pas, le discours de Perdican me semble plutôt dirigé contre le clergé. Son frère a d’ailleurs dû le remanier lorsque la pièce a été jouée après la mort d’Alfred. Il a accepté que l’on joue ses pièces seulement à l’âge de 37 ans, 10 ans avant sa mort.
      Moi aussi je te souhaite de beaux moments culturels. Je me réjouis de lire tes chroniques. Belles fêtes!

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      1. Son frère Paul n’a rien remanié … Lire sa biographie d’Alfred, et aussi les Mémoires de la gouvernante d’Alfred de Musset, qui a été une mère pour lui, a veillé sur sa fin, quand la maladie du coeur l’a emporté… et a témoigné – …

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      2. Pour Alfred  » le retour : c’est u ne actrice qui a interprété ses pièces en Russie et a eu beaucoup de succès, qui les a remises sur le devant de la scène… je cite de mémoire, ( je suis une spécialiste du XIXème siècle, avec un essai en cours sur une découverte que j’ai faite à propos d’Alfred de Musset – et qui lui rends justice de toutes les façons ) – se méfier des biographes actuels, dont Lestringant qui écrit n’importe quoi.

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  2. De l’art d’être dans le vrai… ??? Pour moi, l’art est une vision, un aperçu, un fragment… Il ne peut être vrai ni vérité. J’adore tes billets d’humeur. Je te souhaite de très belles fêtes de fin d’année 🙂

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  3. Est-ce par manque du curiosité ,de sensibilité , paresse de l’esprit que certains jugent de façon péremptoire ? L’art doit faire évoluer notre pensée et changer notre regard sur le monde .C’est en cela qu’il est dangereux pour certains. On entend de plus en plus parler de « vrai art pour les vrais gens . « Sommes -nous des androïdes ?et (comme dit Philip K. Dick) rêvons- nous de moutons électriques ?

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    1. Oui, qui sont les autres, les faux? En même temps, je crois que ça nous arrive à tous de juger à la va-vite. Employons-nous à réfléchir avant de parler. De beaux rêves en couleur pour toi durant ces fêtes!

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  4. eh bien, j’approuve, que dire d’autre ? D’accord aussi avec toi Béatrice. « Du vrai art pour les vrais gens… » ça me laisse perplexe et inquiète, comme toi…et avec toi, Culturieuse, et toi, Elisa, sur ce que tu dis de la vérité et du vrai. Le livre, par exemple, qu’on te demande inlassablement, « qui raconte une histoire vraie »…mais toutes les histoires sont vraies ! Toutes !

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  5. Voilà des bonnes questions !!! Je dirais que comme tout,aborder l’Art,est comme l’auberge espagnole, on y trouve ce qu’on y apporte, son humeur du moment, son chemin, ses souvenirs culturels ou non, ses références, ses expériences, voilà…C’est une rencontre,qui comme toute rencontre n’est pas acquise d’avance…On est séduit par une personne par ce qu’elle nous révèle de nous-même, parce qu’elle nous réconforte, nous rend meilleur, nous surprend, nous apprend, nous perturbe aussi, nous ressemble ou justement est notre contraire…Les rencontres importantes sont rarement faciles, elles demandent des efforts, du lâché prise, de la remise en question, quelques fois au contraire, c’est comme si nous étions prêts depuis toujours..Bref, une rencontre en êtres humains…Bises

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  6. Contrairement à ce que d’aucuns (‘réactionnaires », « marketers », manipulateurs etc.) aimeraient…
    Un humain, c’est une somme d’oxymores.
    L’art qui veut parler aux humains ne peut se contenter de simplicité monolithique.
    Si l’on veut que « l’histoire soit vraie », il y faut — et ceci, de part et d’autre — un peu de complexité, comme dans toute rencontre. À défaut, on peut toujours s’adonner au jugement avant-dernier: “À chacun son mauvais goût”…

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