Aloïse Corbaz (1886-1964) § Catharsis

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Aloïse Corbaz, artiste emblématique de l’Art Brut, est née à Lausanne en Suisse. Son père est employé des postes et elle perd sa mère à l’âge de 11 ou 13 ans. Elle rêve de devenir cantatrice et suit des cours de chant. A 18 ans, après l’école secondaire, elle prend des cours à l’école de couture de Lausanne. Elle entame une relation passionnelle et secrète avec un étudiant de la faculté de théologie libre de Lausanne. Elle est cependant tenue de le quitter sous la pression morale outrée de sa soeur aînée et est envoyée en Allemagne pour s’occuper d’enfants. Elle a 25 ans et finit par être engagée par le chapelain de l’empereur, un pasteur, comme gouvernante de ses filles à la cour de Guillame II. C’est là que débute pour elle un amour impossible pour la personnalité de l’empereur, au château de Sans-Souci à Postdam.

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Aloïse, « Guillaume II »

Elle est contrainte de rentrer en Suisse au début de la première guerre. De son isolement naissent ses premiers troubles psychiatriques importants. Elle est internée à l’hôpital de Cery en 1918 et reporte sa passion délirante sur un pasteur engagé politiquement dans le pacifisme dont les idées correspondent à son appétit humaniste et antimilitariste.

chamorel_thumbFace à la dégradation de ses troubles mentaux, une forme de schyzophrénie, Aloïse, internée à La Rosière, le restera jusqu’à sa mort. Les premières années se passent dans l’immobilisme et le mutisme. Son « monde naturel ancien d’autrefois », comme elle nomme les souvenirs de sa vie d’avant l’asile,  retrouve peu à peu vie dans son oeuvre, son théâtre cosmogonique.

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Elle commence à dessiner sur des papiers glanés ici et là, journaux imprimés, papiers d’emballage qu’elle coud ensemble pour obtenir de plus grandes surfaces. En premier lieu avec des crayons de couleur, elle utilise petit à petit, selon ce qui lui est donné, des craies grasses et pastels ou même des fleurs frottées sur le papier.

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Aloïse Corbaz, détail du « Cloisonné de théâtre », 3 actes et conclusion (1951), rouleau de 14 m. de long.

Dès les années trente, un médecin psychiatre, le professeur Steck, s’intéresse à sa production artistique, production jusqu’alors détruite par le personnel hospitalier. Dès 1941, une de ses étudiante, Jacqueline Porret-Forel, devenue médecin généraliste, noue avec Aloïse une relation d’amitié, lui offre du matériel d’art et recueille son travail. Elle consacre sa thèse de doctorat à l’oeuvre d’Aloïse : « Aloïse ou la peinture magique d’une schizophrène »(1952), un travail de longue haleine de décryptage des écrits et dessins de l’artiste, interprétation globale du mécanisme de création d’Aloïse et de sa renaissance progressive grâce à l’art. (Source: Céline Muzelle , institut suisse pour l’étude de l’art). Aloïse, soutenue et encouragée, peut s’adonner à son art en toute liberté. Madame Porret-Forel éditera plusieurs livres sur Aloïse, dont celui-ci sur ses écrits (billets, poèmes, lettres):

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Ayant découvert l’intérêt de Jean Dubuffet pour un art anti-culturel,  Madame Porret-Forel le rencontre à Paris et lui présente des dessins d’Aloïse. Celui-ci, enthousiasmé par sa production, reconnaissant en elle un processus créatif et une vision mentale intime, constitue une partie de la collection du musée de l’Art Brut qui sera installée à Lausanne.

Aloïse Corbaz, Bal tango – Hôtel Rosière (recto), cinquième période 1960-1963. Craie grasse et crayon de couleur sur papier ; 150,5 x 101 cm. Donation Étienne et Jacqueline Porret-Forel. Kunstmuseum Solothurn. Photo : Claudia Lenenberger © Association Aloïse, 2015.
Aloïse Corbaz, Bal tango – Hôtel Rosière (recto), cinquième période 1960-1963. Craie grasse et
crayon de couleur sur papier ; 150,5 x 101 cm. Donation Étienne et Jacqueline Porret-Forel.
Kunstmuseum Solothurn. Photo : Claudia Lenenberger © Association Aloïse, 2015.

Je conseille vivement ici le documentaire extrêmement intéressant de 1965 de la télévision suisse romande sur l’art pratiqué par les malades à l’hôpital psychiatrique de Cery.

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Aloïse, « César », 1948, Pastel gras sur carton 72,5 x 51 cm Crédits photo : DR

L’univers bidimensionnel créé par Aloïse est un monde dans lequel elle est toute puissante. Elle y mêle son vécu et son imaginaire, ainsi que sa passion pour le théâtre et l’opéra. Elle y invente des pouvoirs : le ricochet solaire, pouvoir de donner vie, et la trinité en consubstantialité alternative, celui de s’incarner elle-même en trois êtres à la fois au même moment. Elle représente ainsi de grandes figures de l’histoire européenne comme Napoléon, Cléopâtre ou Marie Stuart, dans la magnificence des cours royales. Son oeuvre, unique solution de survie, est le cocon protecteur qui lui permet de se soustraire à la douleur d’exister (Michel Thévoz, « L’Art Brut », Skira, 1981).

Cliquez sur ce lien pour accéder au catalogue raisonné d’Aloïse.

A voir à Lausanne au Musée de l’Art Brut

Aloïse au cinéma : film de Liliane de Kermadec sorti en 1975 avec Isabelle Huppert et Delphine Seyrig.

816aJrBGk4L._SL1500_Et aussi une pièce de théâtre qui explore l’univers magique d’Aloïse. Sur une mise en scène de Sébastien Ribaux  (Dog Production) intitulée « Autour d’Aloïse », le théâtre 2.21 de Lausanne propose une série de tableaux joués par trois comédiennes et trois musiciens. Après un monologue de préambule plutôt énigmatique (phrases d’Aloïse?), plusieurs séquences sont orchestrées entre musique, chorégraphie et textes. Fantasmes de têtes couronnées, bribes de chansons populaires savamment associées, épisodes de la vie d’Aloïse remaniés, souvent drôles et poétiques, explorent l’univers unique et extravagant de l’artiste. Un émouvant monologue évoquant ses personnages obsessionnels, allié à un poignant crescendo musical, conclut ce spectacle qui a su capter un part importante de la diversité du monde d’Aloïse.

En produisant une oeuvre d’art complexe et intime, Aloïse Corbaz a réussi à apaiser sa souffrance et à retrouver un relatif équilibre psychique. En libérant ce qui avait été réprimé, elle a vécu une véritable catharsis.

En grec, la catharsis signifie la purification. La catharsis, pour Aristote, est l’épuration des passions qui se produit par les moyens de la représentation artistique. La morale de la catharsis utilisée dans les arts (théâtre, cinéma, littérature…) montre les destins tragiques de ceux qui ont cédés à leurs pulsions. Le spectateur peut en tirer des leçons sur les passions humaines. L’esthétique de la catharsis en revanche lui permet de prendre plaisir à la représentation d’une réalité pénible et de s’en purger.

En psychanalyse, la catharsis sert à désigner la prise de conscience d’un évènement traumatique que le sujet se remémore, revit et dépasse, un processus qui libère du refoulement. C’est le premier pas qui permet la mise à distance.

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Aloïse, « Fleurir l’Amérique Président Stubborn », 1951-1960. Crayons de couleur sur trois feuilles de papier cousues ensemble, 65 x 70 cm. Collection Antoine de Galbert, Paris

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6 réflexions sur “Aloïse Corbaz (1886-1964) § Catharsis

  1. le musée d’Art Brut de Lausanne m’avait beaucoup impressionnée, j’avais 16/17 ans quand je l’ai visité…Très intéressant, ton article. J’ai un neveu qui fait son mémoire de socio sur l’art – thérapie en hôpital psychiatrique…Je vais lui faire lire ton article

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  2. J’aime ces dessins aux lignes un peu enfantines et pleines de couleurs.
    Aloïse, je dirais d’elle qu’elle est enfermée dans un halo de couleurs pleines de lumière. En même temps on se croirait dans un décor théâtrale de style baroque
    J’adore!!!… Merci pour cette découverte.

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