Germaine Richier, sculptrice française, dont on attend toujours le catalogue raisonné, passe une enfance heureuse dans la propriété de ses parents près de Montpellier. Elle étudie à l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts de Montpellier où elle apprend la taille directe. En 1926, elle est accueillie par le sculpteur Antoine Bourdelle et y reste sa seule élève particulière jusqu’à la mort de celui-ci en 1929. Elle y travaille les bustes, le moulage. le modelage, la pierre et le bois.

Elle épouse en 1929 un sculpteur suisse, Otto Bänninger. Ils déménagent à Paris en 1933 où Germaine Richier investit un atelier et prend des élèves. Son travail est remarqué et une première exposition a lieu en 1934. Le musée du Jeu de Paume l’expose dans le cadre de l’exposition Femmes artistes d’Europe. A Montparnasse, elle retrouve durant ses soirées la communauté artistique de l’époque (Giacometti, Marini…). en 1936, elle est récompensée du prix Blumenthal de sculpture.

En 1939, à la déclaration de la deuxième guerre mondiale, ils retournent en Suisse et s’installent à Zurich. Peu à peu, le travail de Germaine Richier se métamorphose. Aux bustes classiques et élégants succèdent des sculptures massives, puis hybrides.

Elle représente l’humain jusque vers 1944, année où apparait la première de ses figures mi-humaines, mi-insectes. L’horreur de la guerre a incité les artistes à mêler une certaine animalité et même végétalité aux représentations de l’humain, référence aussi au primitivisme et au surréalisme (voir aussi Max Ernst ou Wifredo Lam ).

En Suisse, elle retrouve ses amis de Montparnasse. Des rencontres qui ne manquent pas de compter dans son évolution, comme Giacometti et Marino Marini qui est le plus proche d’elle. Mais, en 1946, elle ressent le besoin de rentrer dans son pays et retourne seule à Paris. Elle y fréquente Colette, Nathalie Sarraute ou Jean Paulhan. Ses créations s’enrichissent d’expérimentations, de liberté, ainsi que de nouvelles techniques comme la filasse, le fil de fer et le plâtre. Germaine Richier base ses sculptures (elle modèle, mais ne taille pas) sur une réalité organique, le point de départ de son imaginaire.

« Pour moi, la qualité principale de la sculpture est le renoncement à la forme pleine et solide. Les trous et les perforations apportent l’éclairage à la matière, qui s’ouvre, enveloppée de tous côtés par la lumière. »(voir cette analyse).
En 1947, Germaine Richier fait poser un ancien modèle de Rodin, celui qui a posé pour le Balzac. Un homme massif et brut, intitulé L’orage, qui sera terminé en 1948 et présenté à la 26e Biennale de Venise. Pour elle, il exprime la violence ainsi que la sensibilité. Elle crée ensuite son pendant féminin, L’Ouragane.



En 1950, Germaine Richier est mandatée, avec d’autres artistes, d’une partie de l’aménagement de l’église d’Assy en Haute-Savoie. Elle crée un crucifix montrant un Christ semblant défiguré qui ne fait qu’un avec sa croix. Un scandale pour l’Eglise catholique! la querelle de l’art sacré se focalise sur la sculpture de Germaine Richier. Elle est retirée et ne sera replacée que vingt ans plus tard.

Germaine Richier disparaît à l’âge de 57 ans des suites d’un cancer. Une sculptrice dont la carrière et la vie n’ont connu que peu de coups de théâtre et qui reste méconnue malgré une oeuvre riche, violente et souvent d’aspect tragique.
« Le but de la sculpture, c’est d’abord la joie de celui qui l’a faite. » Germaine Richier

La dernière année de sa vie, Germaine Richier a souhaité reprendre son « Echiquier, petit » de 1954 et l’agrandir. Celui-ci est depuis considéré comme une pièce essentielle et testamentaire de l’artiste, qui y synthétise ses années de recherches formelles.

La représentation du Christ dans l’art a provoqué et provoque toujours des polémiques dans certains milieux. Le scandale du crucifix de Germaine Richier en 1950 a son pendant contemporain en 1987 avec le Piss Christ d’Andres Serrano, lui-même né en 1950..
Andres Serrano est un photographe américain né à New York. Issu d’une famille hondurienne et afro-cubaine, il est élevé dans la stricte religion catholique mâtinée de vaudou. Les toiles de la renaissance découvertes très jeune au Metropolitan Museum of Art (MET) lui offrent l’imagerie et l’esthétique de sa quête existentielle. De 17 à 19 ans, il suit les cours de la Brooklyn Museum Art School et se lance dans la photographie. Sa première exposition a lieu en 1985. Son travail se présente généralement sous la forme de séries.
« J’ai été élevé dans la foi catholique, je suis chrétien et croyant. En tant que tel, j’ai pensé: j’ai le droit d’utiliser les symboles de l’Église, le corps et le sang, et rendre hommage en artiste à ma religion, ma foi, mon Dieu.» Andres Serrano

Son travail explore la religion, le sexe et la condition sociale. Ce qu’on ne veut pas voir habituellement, que l’on considère comme repoussant. Les sujets qu’il aborde, toujours difficiles, sont magnifiés par la composition et les effets esthétiques. Par sa technique rappelant les Maîtres du XVIIe, Andres Serrano offre un accès à des sujets complexes considérés comme déplaisants.
En 1991, fasciné par la représentation de la mort en peinture (Géricault), il photographie, en plan serré, les cadavres d’une morgue. Des images dérangeantes pour notre société déshabituée à côtoyer la mort. Paradoxalement, malgré les images de violence et de guerre que nous visionnons chaque jour aux informations, se retrouver face à un portrait, même partiel, de cadavre est une expérience pour le moins délicate. Pourtant, enveloppées, sublimées, mises en scène avec respect, ces personnes décédées gardent leur humanité. Certaines photos restent choquantes. C’est en lisant leur titre que la dramatique réalité s’impose. Pour voir des images de la série « The Morgue ».
Ses images, dès les années 1980, sont produites en studio. A cette époque, le sida fait son apparition et la question du corps est centrale.


L’artiste dit avoir pris la photo intitulée « Immersion Piss Christ « après avoir empli un récipient de son urine et de son sang et y avoir immergé un petit crucifix de plastique. Il réutilise donc un objet commercial banal pour, selon lui, condamner « l’industrie milliardaire du Christ-des-bénéfices« . Il est aussi un moyen pour lui d’illustrer les tortures subies par le Christ:
« La photographie et le titre lui-même sont ambigus et provocateurs, mais certainement pas blasphématoires. Au fil des ans, j’ai régulièrement traité de la religion dans mon art. Mon éducation catholique informe ce travail qui me permet de redéfinir et personnaliser ma relation avec Dieu. Mon utilisation de fluides corporels tels que le sang et l’urine dans ce contexte est parallèle à l’obsession du catholicisme avec « le corps et le sang du Christ. » C’est précisément de cette exploration et de cette juxtaposition des symboles que le christianisme tire sa force. »Andres Serrano
Du fait de son titre, l’oeuvre a été plusieurs fois l’objet d’actes de vandalisme par ceux qui la jugent blasphématoire.

L’iconoclasme est un mouvement hostile à la représentation du divin qui se manifeste dès le VIIe siècle dans l’empire romain d’Orient. Aujourd’hui, le terme iconoclaste désigne un comportement d’hostilité à tout ce qui est normes et croyances, soi-disant intouchables, d’ordre politique ou religieux.
L’image du divin est interdite par le texte biblique (commandements). Le judaïsme et l’Islam ne la représentent pas, en revanche, ces religions ont développé l’art de la calligraphie. Cette représentation est cependant admise par la religion chrétienne en la personne du Christ, incarnation humaine de Dieu (« Qui m’a vu a vu le Père. »). Cette possibilité fut utile pour enseigner la doctrine aux illettrés et l’art en Occident en a récolté les fruits : une richesse artistique foisonnante.
L’Occident a eu et a encore, malgré son degré plutôt élevé de liberté d’expression, un problème avec l’image du divin et la représentation du sacré. Les créateurs occidentaux s’intéressant à ce qui a marqué leur culture, ils mettent donc en scène la religion chrétienne, dont la croix qui est imprimée dans notre inconscient. Le pouvoir de l’image, déclencheur de controverse, exalte alors l’ire de certains groupes extrémistes. Au-delà de ces abus, l’image du sacré et du divin est propice à la réflexion théologique et la méditation
Voir un article du journal Le Monde intitulé « Quinze images qui ont choqué Dieu ».

Top!
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A reblogué ceci sur VITRINART..
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Je connaissais Germaine Richier, pas Serrano. Tout ça est très perturbant; je voulais mettre le mot « troublant », mais non, c’est perturbant. Je pense que toujours, le côté organique dans l’art, perturbe, en tous cas moi, oui. Et intéressant article
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Tu as raison, c’est plus que troublant. Le côté provocant fait mouche car Serrano s’attaque à de puissants tabous. Mais c’est ce qui permet le « focus » de la réflexion, possible à la condition d’enjamber l’interdit moral. Pas si simple.
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Comme d’hab’ on a l’impression de devenir plus instruit en lisant tes articles ! Et merci de rappeler la bêtise humaine dans le cadre du crucifix de G. Richter…. d’une beauté giacometti-enne…
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L’adjectif est pertinent!
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Je ne suis pas fan d’Andres Serrano mais quelle belle découverte que les oeuvres de Germaine Richier. Homonyme de ma grand-mère !!! Merci pour le partage 🙂
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Prénom et nom? Germaine est un des prénoms à la mode début XXe, je pense. Au milieu, les Martine ont fait un tabac!
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