
Robert Frank est un photographe et réalisateur américain né en Suisse. Ses parents sont d’origine juive allemande et la famille obtient la nationalité suisse en 1946. Il découvre très tôt la photographie et entre en apprentissage chez un voisin photographe et graphiste, Herman Segesser, qui l’initie à la peinture de Paul Klee .

En 1947, il quitte la Suisse (trop bourgeoise, conventionnelle et matérialiste) pour les Etats-Unis, symbole pour lui de liberté. Il est embauché par le directeur d’un magazine de mode et commence à prendre conscience de l’importance donnée à l’argent dans la société américaine. L’année suivante, il voyage au Pérou où il photographie la population.
Durant les années suivantes, il voyage beaucoup entre l’Europe et les Etats-Unis. Il se concentre sur les personnes et leur culture, mais n’est que rarement publié. Son exploration sociale commence ici, par des errances et des flâneries.


Il épouse Mary dont il aura deux enfants. En 1954, de retour aux Etats-Unis, il obtient une bourse de la Fondation Guggenheim grâce à ses amis photographes (dont Walker Evans et Steichen) et, libéré des contraintes matérielles, voyage à travers l’Amérique à bord d’une vieille Ford, seul ou avec sa famille. Il observe la vie quotidienne, se mêle à la population locale en fréquentant ses lieux de passages. L’ère McCarthy est à son comble et les gens le soupçonnent d’être communiste.


Pour publier son livre intitulé « Les Américains », il développe d’innombrables planches contact et trie plus de 27000 clichés dont il ne garde que 83 images. Le livre est d’abord publié en France en 1958, accompagné de textes dont Frank a dû s’accomoder, et l’année suivante aux USA avec seulement une préface de Jack Kerouac. Une publication controversée, car les images bouleversent par la tristesse des visages anonymes et des territoires vides d’une Amérique insoupçonnée. Un portrait de l’Amérique novateur dans son style, mais aussi peut-être un autoportrait, qui reçoit un accueil mitigé.
Les éditions Delpire rééditent ce livre culte à l’occasion des soixante ans de sa première publication avec une introduction de Jack Kerouac (nouvelle traduction de B.Matthieussent).


« With these photographs, I have attempted to show a cross-section of the American population. My effort was to express it simply and without confusion. The view is personal and, therefore, various facets of American life and society have been ignored. The photographs were taken during 1955 and 1956; for the most part in large cities such as Detroit, Chicago, Los Angeles, New York and in many other places during my Journey across the country.(…) » Robert Frank
Ses photographies intuitives montrent une Amérique éloignée des stéréotypes de rigueur à l’époque. Il y représente la dure réalité quotidienne des petites gens de manière objective tout en gardant l’impact émotionnel de l’image. En transmettant les photographies du peuple américain dans sa complète variété (noirs, blancs, pauvres, middle class, urbains, ruraux…), il veut suggérer une impression, celle qui l’a frappé lui-même. Comme son ami Kerouac, il a pris la route, ouvert aux rencontres de hasard et immortalisé une Amérique imparfaite, mais concrète.

« Robert Frank, avec ce petit appareil qu’il manie d’une seule main, a tiré de l’Amérique un poème triste qu’il a coulé dans la pellicule. » (Kerouac).

Dans les années soixante, Robert Frank se lasse de la photographie et devient réalisateur de films expérimentaux. Sur la Beat Generation (« Pull my Daisy » 1959, écrit par Kerouac et Ginsberg et avec Delphine Seyrig!), quelques films autobiographiques (Conversation in Vermont, About me: a musical,…), Cocksucker Blues (1972) sur la tournée Exile on Main Street des Rolling Stones, plusieurs films tirés de nouvelles (voir ici sa filmographie), à noter le film « This song for Jack » (1983) où la plupart des acteurs de la Beat Generation sont réunis.
Il revient à la photographie avec un autre regard à partir de 1975. Le divorce difficile d’avec sa femme Mary, le décès dans un accident d’avion de sa fille Andrea à l’âge de 21 ans, le suicide de son fils Pablo en 1993 l’interrogent sur le sens de la vie qu’il choisit de glorifier par des instantanés au polaroid: « Exister, être là, et rien d’autre».
Il s’installe en Nouvelle Ecosse avec sa nouvelle compagne, June Leaf, sculptrice. « Je fais toujours la même image, je regarde à l’intérieur, de l’extérieur et je regarde à l’extérieur de l’intérieur ». Il expérimente le grattage d’inscriptions sur les polaroid traités au sulfite de sodium ou inscrit des mots à même le tirage. Son nouveau vocabulaire artistique inclut le collage, l’assemblage, les installations photographiées et les mots. Les imperfections font partie de son langage.
Télécharger le texte sur Robert Frank de Gil Pressnitzer : frankrobert
« Sur la route » de Jack Kerouac est le texte fondateur de la Beat Generation, un mouvement né d’une crise? L’apparition de la bombe atomique, la guerre mondiale, le matérialisme et le conformisme de la société américaine, tout cela aurait contribué à remettre en question les valeurs traditionnelles, occasionné le besoin d’une quête spirituelle et engendré la rébellion de cette poignée d’avant-gardistes.
« Contre la ruine du monde, il n’y a qu’une défense : l’Art et la Création. » déclare ce mouvement littéraire et culturel. Le mot Beat peut signifier être vaincu, cassé, mais aussi le rythme, le battement ou encore la béatitude.
« fous, fous d’envie de vivre, fous d’envie de parler, d’être sauvés, fous de désir pour tout à la fois, ceux qui ne baillent jamais et qui ne disent jamais de lieux communs, mais qui brûlent, brûlent, comme des feux d’artifice extraordinaires qui explosent comme des araignées dans les étoiles » Jack Kerouac
Des textes poétiques rythmés qui se disent à voix haute. Précurseur du mouvement Hippie, la Beat Generation le serait-elle aussi de celui du Rap, l’expression vocale du Hip Hop, rébellion contemporaine?
Le poème phare de la Beat Generation, HOWL (hurlement), écrit en 1955, fut en premier lieu récité à voix haute en public par son auteur Allen Ginsberg. Il commence ainsi :
J’ai vu les plus grands esprits de ma génération détruits par la folie, affamés hystériques nus,
se traînant à l’aube dans les rues nègres à la recherche d’une furieuse piqûre,
initiés à tête d’ange brûlant pour la liaison céleste ancienne avec la dynamo étoilée dans la mécanique nocturne,
qui pauvreté et haillons et oeil creux et défoncés restèrent debout en fumant dans l’obscurité surnaturelle des chambres bon marché flottant par-dessus le sommet des villes en contemplant du jazz,
qui ont mis à nu leurs cerveaux aux Cieux sous le Métro Aérien et vu des anges d’Islam titubant illuminés sur les toits des taudis,
qui ont passé à travers des universités avec des yeux adieux froids hallucinant l’Arkansas et des tragédies à la Blake parmi les érudits de la guerre, suite de l’extrait
Pour les nostalgiques et les passionnés, lire les lettres de Neal Cassady : un délicieux tourbillon!

Pour Cécile…
Merci aux blogs : espritsnomades.com, photogriffon.com, profondeurdechambre.com, leicaphilia.com, etc.
Alors celui-ci je l’adore…J’aime la photo, ce photographe et les voies(x) ouvertes par Kerouac, j’ai la stupide nostalgie de cette époque que je n’ai pourtant pas connue, mais qui flottait encore dans l’air à ma naissance, cette culture que j’ai lue, écoutée et regardée. Je partage ce magnifique article. Merci ! Un mot des photos ( je connaissais Robert Franck ), plutôt bouleversantes
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Pour moi aussi cette fascination est bien présente. Kerouac et ses potes, c’est la legerete, la jeunesse et l’aventure transcrites en une écriture trépidante dans « sur la route ». Les lettres de Cassady sont de la même veine, certaines t’emportent comme une tornade! Bref, je me suis fait plaisir avec cet article…
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A reblogué ceci sur Coquecigrues et ima-nu-ageset a ajouté:
Un beau texte sensible (et riche) sur un très grand photographe, « enfant de l’après-guerre et des désillusions et ses images forment souvent un poème triste, mais vrai. « Robert Frank, avec ce petit appareil qu’il manie d’une seule main, a tiré de l’Amérique un poème triste qu’il a coulé dans la pellicule. » (Kerouac).
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Certes, c’est « pour Cecile » mais je l’ai pris pour moi aussi. Très bel article – que je me permets de re-blogger…. Merci !
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C’est juste une dédicace pour une amie passionnée…merci à toi!
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je partage également une certaine nostalgie ! leurs voix sont une constante source d’inspiration/création, toujours aussi modernes en un sens et si percutantes. merci pour cet article, très intéressant et très belle découverte de Robert Frank !
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