« Un ennemi du peuple » de Thomas Ostermeier § Lanceur d’alerte

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Photo: Christophe Raynaud de Lage/ Festival d’Avignon

 Une pièce de Henrik Ibsen (1828-1906) sur une mise en scène de Thomas Ostermeier (1968), production Schaubühne de Berlin. Théâtre Kléber-Méleau, Lausanne

Une station thermale. Le docteur Stockmann, médecin du lieu, procède à des analyses et découvre que les eaux sont gravement contaminées. Certain de recueillir l’approbation de tous, il veut prévenir la population. Son frère, maire de l’endroit et son employeur, l’enjoint de réfréner ses ardeurs au prétexte de la catastrophe économique qui s’ensuivrait.

Ce thème vous rappelle-t-il quelque chose? Les exemples contemporains ne manquent pas : entre le sang contaminé, l’industrie pharmaceutique, les banques hors-la-loi, ceux qui dénoncent, les lanceu.r.se.s d’alerte,  sont cloué.e.s au pilori pour avoir enfreint le sacro-saint équilibre économique.

Au-delà de la pièce d’Ibsen, Ostermeier propose au public une lecture contemporaine et participative. Au vu des dépenses qu’occasionneraient la fermeture des thermes, le pouvoir politique, sous les traits du maire, refuse de dévoiler ce scandale. «Nous ferons de notre mieux en silence ; mais il faut que rien, absolument rien de cette malheureuse affaire ne transpire au dehors». D’abord acquis à la cause du docteur, le rédacteur de la presse locale, Hovstad, corrompu par le maire, refuse finalement de publier son article. Le docteur Stockmann décide alors d’organiser une réunion publique à laquelle toute la salle est conviée et où le public a la possibilité d’exprimer son opinion. Les lumières s’allument et les acteurs rejoignent les spectateurs.

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Photo Patrick Roux et Manuel Pascual

 L’idée magnifique de laisser réagir le public n’occulte pas le jeu parfait des acteurs en langue allemande (surtitrée).  Les décors minimalistes, modulés à la craie et repeints au cours du spectacle, aussi contemporains que les costumes et la musique rock, évoquent immédiatement la société alternative, féministe et écologiste.

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Cette version, à peine dépoussiérée, comporte l’ajout par Thomas Ostermeier d’un texte sur le libéralisme sauvage et l’individualisme éperdu (extrait de L’Insurrection qui vient du comité invisible):

« “I am what I am”, ce slogan d’un fabricant américain de tennis n’est pas une simple mensonge, une simple campagne de publicité. C’est une campagne militaire, un cri de guerre dirigé contre tout ce qu’il y a entre les êtres, contre tout ce qui circule indistinctement, tout ce qui fait obstacle à la parfaite désolation, tout ce qui fait que nous existons et que le monde n’a pas partout l’aspect d’une autoroute, d’un parc d’attractions ou d’une ville nouvelle : ennui pur, sans passion et bien ordonné, espace vide glacé où ne transitent plus que des corps immatriculés, des molécules automobiles ou des marchandises idéales. »

“De toutes façons je ne pourrais jamais être d’un parti qui aurait la majorité pour lui. Björnson dit : “La majorité a toujours raison.” Un politicien d’esprit pratique doit s’exprimer ainsi. Mais moi, je dis : “La minorité a toujours raison.” Je pense à cette minorité qui marche en avant, laissant derrière elle la majorité. J’estime que celui-là a raison qui est plus près d’être en intelligence avec l’avenir.” Henrik Ibsen, Lettre à G. Brandès, 3 janvier 1882

Qui détient le pouvoir dans notre société? Les politiques de gauche ou de droite peuvent-elles combattre face à la puissance économique? La vérité est-elle possible aux dépens de la communauté? La démocratie, les décisions de la masse manipulée, est-elle vraiment la solution? Des questions délicates auxquelles Thomas Ostermeier ne répond pas, mais qu’il propose à la réflexion et aux réactions du public. Jusqu’à la fin de la pièce, en forme d’interrogation : que va faire cet incorruptible docteur Stockmann des actions des thermes, achetées à bas prix, que lui offre son beau-père?

Interview  clicker ici de Thomas Ostermeier à Avignon en 2012

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Hervé Falciani est le pivot de l’affaire HSBC Private Bank. Le lanceur d’alerte . Il a fourni la liste des (107181) détenteurs de comptes en Suisse pour frauder le fisc de leur pays. L’informaticien est-il un mythomane ou une victime du système? Le manipulateur qu’il semble être dans sa vie privée a-t-il émergé dans sa vie professionnelle? Engagé pour mettre au point un nouvel outil sensé faciliter les échanges entre la banque et ses clients, est-il un pourfendeur de la fraude fiscale ou un opportuniste à la pêche aux millions?  Qui est Hervé Falciani?

« Il devrait exister une loi pour aider les lanceurs d’alerte. Je ne suis pas un chevalier blanc, mais il y a quelque chose d’assez beau et de grisant à établir la vérité. « Hervé Falciani.

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 Le documentaire réalisé par Laura Poitras, Citizenfour, est impressionnant:
 Ayant déjà réalisé deux documentaires sur l’occupation américaine en Irak et sur la prison de Guantanamo, cette journaliste et photographe américaine est contactée par Email par un anonyme qui souhaite faire des révélations sur la NSA (National Security Agency). Le film débute alors qu’elle est en route pour Hong Kong avec le journaliste Glen Greenwald pour le rencontrer. Ce sera Edward Snowden (1983), jeune et brillant informaticien, qui révèle la surveillance illégale de l’état américain sur la population mondiale! Il est inculpé d’espionnage en 2013. Après avoir sacrifié une vie confortable, il vit actuellement réfugié dans le seul pays qui a bien voulu l’accueillir : la Russie.
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Edward Snowden, à gauche, avec Glenn Greenwald, deuxième à droite, David Miranda, photographe, et Laura Poitras. (Photo: David Miranda)
« Je suis prêt à sacrifier tout cela parce que je ne peux, en mon âme et conscience, laisser le gouvernement américain détruire la vie privée, la liberté d’Internet et les libertés essentielles des gens du monde entier avec ce système énorme de surveillance qu’il est en train de bâtir secrètement » Edward Snowden
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10 réflexions sur “« Un ennemi du peuple » de Thomas Ostermeier § Lanceur d’alerte

  1. Encore un formidable article, d’un à propos et d’une pertinence redoutable ! Comme toujours !
    Le seul défaut que je lui reconnais est que le lire prend beaucoup de temps tant les liens sont riches et instructifs !!! Heu…Est-ce un défaut ? !!! Merci !

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    1. Merci! oui, il y a tellement de choses intéressantes sur ce satané web que je croule un peu sous les liens que j’ai envie de partager…sur tout ce que je trouve, je te promets que j’en publie peu…

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      1. Mais je le mesure tout à fait ! Merci de faire le tri pour nous !!
        Tes choix sont toujours très justes ! J’aime beaucoup le ton de tes posts: à la fois très engagé dans le choix des œuvres et des artistes, et les liens, mais assez neutre, informatif et rigoureux dans la forme.Beaucoup de matière à réfléchir et pas de leçon…Formidable !
        Bises

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  2. Je suis tout à fait d’accord avec Kali !
    Merci pour cette article, que j’ai lu d’autant plus attentivement que je venais de voir la pièce à Kleber Meleau !

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      1. Oui, c’est d’ailleurs comme ça que j’avais découvert par hasard votre blog, il y a pas mal de temps déjà : je vais souvent au théâtre et vous parliez souvent des pièces que j’avais vues ! Idem avec certaines expos. C’était drôle, cette espèce de proximité. Et comme j’aime beaucoup la culture, que je suis très curieuse et que j’apprécie les jeux de mots, le titre de votre blog m’a immédiatement séduite, de même que la photo en tête de page (je me suis souvent demandé où c’était ??)… du coup je me suis « abonnée »…

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      2. C’est une photo prise en Cappadoce par mon compagnon. Depuis, je collectionne les photos de ce genre d’objet! Merci pour votre intérêt. Il est vrai que la région lausannoise nous offre de beaux évènements culturels.

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